À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Une énorme truite provenant de Berlin-Est désire se baigner dans la piscine qu’est selon elle Berlin-Ouest. Mais à la Station Friedrich-Strasse, son passage à l’Ouest provoque de vives inquiétudes chez Ernst Gomatke. Der Fisch n’a aucun papier. Problème bureaucratique. En outre, le douanier est ichthyophobe et le désir du poisson d’aller se baigner dans la piscine capitaliste soulève chez lui incrédulité et panique incontrôlable. Il périt noyé quand le poisson entre finalement dans l’eau ouest-berlinoise qui l’entraîne jusqu’en Pologne.
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Commentaires
Voilà une nouvelle délicieuse dont le fantastique dégage un agréable parfum d’absurde. Le pivot central du texte réside dans la polysémie du mot poisson. Jacques Renaud s’amuse tout au long du texte à déstabiliser le lecteur en parlant du poisson au sens strict tout en brisant ce niveau d’acception du terme par un discours figuré. Ou vice versa. Car le texte nous incite d’abord à voir dans le Fisch la figure : le lecteur s’aperçoit tardivement que le poisson est réellement une immense truite et que Berlin-Ouest est un vrai aquarium.
Cette ambiguïté fonde le texte et donne lieu à un fantastique doucement absurde qui rappelle autant Kafka que Günter Grass. L’absurde naît précisément de la progression logique rigoureuse du texte – et vice versa, encore une fois. C’est un incident absurde qui annihile ainsi la frontière entre l’Est et l’Ouest, fruit de la rencontre entre un poisson et un ichthyophobe.
C’est le même mécanisme de l’absurde qui entraîne la mort inévitable du douanier. Face au poisson et à sa peur, l’homme se sent littéralement baigné dans une eau invisible et épaisse. Cette eau métaphorique devient un objet réel dans la logique du récit, que le narrateur affirme encore par une remarque de Fisch : « On a parfois besoin d'un plus poisson que soi pour s'apercevoir qu'on peut aussi nager, murmura Der Fisch… Vous n'auriez pas eu si peur de moi si vous aviez appris, de votre côté, à vivre sous l'eau ».
À une stratégie narrative efficace, l’auteur a su allier un humour constant, parfois corrosif. Il se manifeste au niveau thématique en raillant certains lieux communs du discours anticapitaliste tout comme la bureaucratie. Le passeport du poisson devient ainsi du papier hygiénique, puisque son destin est de retourner à l’eau. L’humour colore de plus le texte d’une certaine scatologie. Mais on le retrouve surtout au niveau stylistique où il se révèle un complément indissociable de la logique textuelle.
« Der Fisch » : une nouvelle d’excellente facture, agréable à lire et relire. [SB]
- Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 156-157.