À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Trois hommes et huit femmes échappent à un cataclysme en trouvant refuge dans la centrale nucléaire de Carima, une île située dans l’embouchure de l’Amazone. Des divergences éclatent bientôt au sein des survivants, dont les uns réclament l’implantation d’une organisation sociale très stricte, tandis que les autres défendent le respect de la liberté individuelle. Deux des rescapés, le vieil Indien Mayac et la jeune femme Derma, des êtres hors du commun, ont vécu à Cyclopolis, sorte de ville mythique construite dans la jungle amazonienne. Ils comptent avec Manuel Almeida, Emiliano Silva, Stanley Freeman et Georges Dumas parmi les promoteurs de la liberté et refusent farouchement de se laisser enrégimenter par leurs compagnons d’infortune.
Appuyée par José Roca, Alvaro Cabral, Ramiro Calvo et, dans une moindre mesure, par Kazuko Ushida, Bianca Grimaldi s’improvise meneuse et essaie d’imposer ses petites idées à la cellule des survivants. Elle dirige des séances de travail communautaire en vue d’inculquer à ses compagnons un esprit de groupe, indispensable selon elle au bon fonctionnement d’une société. Elle estime de plus que les rescapés doivent procréer afin d’assurer le salut humain. Elle-même, lesbienne, sacrifie ses goûts personnels à la cause commune et décide d’avoir un enfant de chacun des hommes, dans le but de varier le matériel génétique, car les deux autres femmes sont réputées stériles.
Une surprise survient après plusieurs mois d’isolement : d’autres humains manifestent leur existence aux onze survivants, qui apprennent ainsi que le cataclysme, d’origine naturelle, n’a touché que l’Amazonie. Bianca refuse d’établir tout contact avec la civilisation, qu’elle juge pervertie. Mayac décide alors de fuir l’odieuse compagnie de la dirigeante et de quitter l’île en compagnie de Derma et de Manuel. Aidés par le reste de la petite troupe, les trois amis construisent un radeau. Bianca y fait mettre le feu et jure de remettre l’Indien, anarchiste pacifique invétéré, aux forces de l’ordre.
Le vieillard achète alors l’un des hydravions de l’équipe de sauvetage qui a été dépêchée sur l’île et disparaît avec Manuel, Derma, Emiliano, Kazuko, Stanley et Georges pour fonder une nouvelle société, parfaitement libre, au cœur de l’Amazone.
Commentaires
Ce roman exploite un thème cher à la SF : la question de la survie humaine posée à l’occasion d’un cataclysme de vaste envergure. Dans Dernier Départ, la question est envisagée d’un point de vue résolument sexuel, ce qui n’est pas pour étonner les lecteurs familiers avec l’œuvre de Jean-François Somain (anciennement Somcynsky). Comment résoudre le problème des relations sexuelles, si le groupe des femmes est numériquement inférieur au groupe des hommes ? Et, à supposer que le noyau des rescapés veuille une descendance afin d’assurer le salut de l’humanité, comment limiter la consanguinité des enfants ?
Voilà les questions auxquelles les personnages du roman sont confrontés. Derma, sorte de déesse de l’amour d’une grande beauté, règle la première en accueillant charitablement tous les hommes désireux de s’unir à elle… Quant à la seconde interrogation, Bianca, l’âme dirigeante du groupe, se charge d’y apporter une réponse : il faut varier le matériel génétique afin d’éviter que la progéniture ne soit tarée. Elle-même, qui n’éprouve que de l’aversion pour le corps masculin, est prête à se sacrifier et à concevoir un enfant avec chacun de ses compagnons. C’est pousser bien loin le dévouement !.. En dépit de toutes ses tentatives, la malheureuse ne réussit pas à tomber enceinte. Peu importe en fin de compte, puisque le groupuscule échoué sur l’île de Carima ne constitue pas le dernier espoir de la race humaine : le cataclysme n’a pas eu l’ampleur qu’on lui supposait ; il n’a touché que l’Amazonie, territoire qui, pour être immense, n’en est pas moins limité.
Par ailleurs, une seule épithète suffit à caractériser chacun des personnages, tellement ceux-ci sont typés : Bianca-la-volontaire, Mayac- le-libertaire, Derma-l’amoureuse, Stanley-le-solitaire, Manuel-le-doux, Georges-l’insouciant, Emiliano-le-tolérant, Kazuko-l’ordonnée, José-le-violent, Alvaro-l’écorché, Ramiro-l’organisateur. On ne peut certes pas accuser le narrateur d’inconstance : les personnages sont fidèles à eux-mêmes du début à la fin du roman… Un peu plus de souplesse dans le trait eût été bienvenue, car l’ensemble de l’œuvre dégage une forte impression de statisme.
Mayac est sans conteste le personnage le plus marquant et le plus original de Dernier Départ. Agé de 95 ans, cet Indien allie une forme physique parfaite à une sagesse sans borne : quoique aveugle, il vainc Ramiro à la lutte, loge une balle en plein centre d’une cible, dirige une pirogue dans le fleuve, fait l’amour avec Derma et sait juger à leur juste valeur chacun des survivants. Il jouit de plus de certains pouvoirs occultes : au moyen de la télépathie, il peut se servir des yeux de Derma. Il a d’ailleurs recours à ce procédé pour sélectionner les plantes qui entreront dans les mixtures qui lui rendront progressivement la vue et qui guériront l’aménorrhée de Derma.
De plus, le vieillard affiche une humeur égale, se montre délicat et prévenant envers tous et débusque l’injustice où qu’elle se trouve. Cela fait beaucoup de belles qualités pour un seul homme ! L’Indien fait figure de deus ex machina, puisque c’est lui qui conditionne le déroulement du récit et en règle l’issue. Mayac incarne de toute évidence le bien tandis que Bianca représente, quoique de façon plus nuancée, le mal. Bien que certains des personnages oscillent de l’un à l’autre pôle, Dernier Départ présente une vision manichéenne manifeste. Sans doute eût-il fallu nuancer davantage le portrait de Mayac…
Quant à l’idéal proposé dans le roman, il rappelle fort la mentalité hippie répandue dans les années soixante. Mayac refuse en effet les conventions, l’organisation et les valeurs sociales et prône en revanche, dans la non-violence, le nudisme et la liberté sexuelle. Rien de bien neuf sous le soleil – fût-il celui d’un monde post-cataclysmique… Dernier Départ ne se signale donc pas par son originalité.
La langue du roman, limpide et précise, témoigne de la maturité de l’auteur. La première œuvre de Somain s’inscrit sans heurt dans la continuité de l’œuvre commencée par Somcynsky. [LM]
- Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 199-201.
Références
- Anonyme, Dictionnaire des écrits de l'Ontario français, p. 235.
- Baril, Raymond, imagine… 49, p. 87.
- Boivin, Marc-André, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 221-222.
- Ménard, Fabien, Solaris 88, p. 18.