À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
La flotte glog est restée cachée pendant 1500 ans. Nos héros font partie de la délégation diplomatique à bord de la navette devant prendre contact avec ces vaisseaux. Pendant ce temps, sur Serendib, Nisho Krenko, le fanatique qui s’est enfui lors de la libération des otages (dans le précédent tome), vole une navette spatiale – celle du Temujin, le vaisseau qui s’était écrasé lors du premier volet de la série. Il est pris en chasse par la navette de nos héros et les deux navettes se posent sur la planète Sigiriya, une ancienne colonie minière abandonnée, voisine de Serendib comme Mars est voisine de la Terre.
S’ensuit une confrontation qui fait douter Mikkkilo, Krenko apparaissant alors comme une sorte de samouraï prêt à défier son empereur au nom d’une idéologie surannée (ici, la cause glog, et non le bushido, évidemment). Krenko s’échappe à nouveau, mettant le cap, cette fois, vers les astéroïdes glogs, avec nos héros toujours à ses trousses. La suite nous convie à l’intérieur du vaisseau, où séjourne une colonie glog en déclin, société qui repose sur l’absorption d’une drogue permettant de communiquer par empathie avec l’ensemble des membres de la communauté, laquelle vit dans une stupeur perpétuelle au sein d’un paradis qui fait figure de jardin d’Éden : le Jardin de la Joie.
Or, il existe un lieu dédié à la corruption au sein de cet astéroïde : le Jardin des Suicides, où les Glogs qui désirent mettre fin à leurs jours vont séjourner. C’est là que l’ultime rencontre entre Krenko et Mikkkilo aura lieu. Krenko, abdiquant devant l’apathie des Glogs de la flotte de colonisation face aux affaires de leurs cousins de Serendib, se suicide en buvant l’eau empoisonnée de ce lieu gothique à souhait. Les colons glogs, en effet, se complaisent dans leur vie oisive, et choisissent de lancer leur flotte vers une destination qu’ils n’atteindront jamais, leurs ressources devant s’épuiser avant.
Mikkkilo, diplomate, aura plus de succès en offrant trois choix aux colons. Ceux-ci peuvent soit s’établir sur Serendib – planète qu’ils devront partager avec les humains –, soit coloniser Sigiriya et la terraformer à l’aide de l’équipement que les colons possèdent, soit continuer leur voyage dans leurs vaisseaux-jardins, sans toutefois être isolés. Tout ce que Mikkkilo demande en échange, c’est qu’à l’aide de leur flotte, ceux-ci remorquent une lune afin de la placer en orbite autour de Serendib, afin de stabiliser l’axe de rotation de celle-ci. Un projet qui prendra huit cents ans avant de se concrétiser. Les Glogs refusent d’abord ; mais après un discours passionné de la part de Mikkkilo, ils changent d’avis, et le prince de Serendib choisit alors de rester à bord de la flotte de colonisation.
Commentaires
Exceptionnellement, ces deux romans font l’objet d’une seule critique, parce qu’il m’apparaît que ce sont probablement des contraintes éditoriales qui ont motivé la partition en deux romans distincts de ce qui est de toute évidence une seule mise en intrigue.
J’ai eu à critiquer les précédents tomes de cette série dans L’ASFFQ 1995. D’emblée, je l’avoue, le premier tome des Mystères de Serendib m’avait déçu, moi qui avais pourtant entendu beaucoup de bien de cette série. Le deuxième opus était certes meilleur, mais il était loin de posséder ce je-ne-sais-quoi qui en aurait fait quelque chose de marquant. Or, après avoir refermé le troisième, puis le quatrième tome, je me dois de complètement réviser mon jugement.
Car c’est à du grand Jean-Louis Trudel auquel nous avons désormais affaire. L’univers mis en place dans les deux premiers opus se voit ici bonifié et approfondi à un degré que je n’aurais jamais soupçonné. Était-ce prévu dès le départ, afin de mieux jeter les bases des personnages et de leur environnement ? Est-ce parce que l’auteur s’est finalement entiché de ses personnages et de sa série pour mieux s’y investir ? Je n’en sais rien, et honnêtement, ça n’a aucune importance. Ce qui importe, c’est que ces deux tomes, à eux seuls, suffisent pour rehausser l’estime que j’ai pour l’écriture et l’inventivité de Trudel (estime qui est déjà fort grande, sachez-le).
On pardonne les débuts laborieux de la série, et on place Serendib parmi les grandes réalisations de SFQ, point à la ligne. Certes, d’un point de vue stylistique, les dialogues, très nombreux, servent encore de béquille au rythme rapide de l’histoire, question de contextualiser les différents éléments insérés dans l’univers diégétique. C’est là un raccourci un peu facile, on le sait ; mais compte tenu des contraintes de production imposées par la collection Jeunesse-pop, cela se justifie amplement, d’autant que cela évite l’emploi d’une narration omnisciente qui n’aurait eu aucune justification rendu à ce stade de la série.
Et puis, il faut le dire, la description de Sigiriya, par exemple, possède une force poétique indéniable, et l’on se prend d’une sympathie, d’un élan de solidarité pour ces mineurs oubliés, laissés pour compte, condamnés à mourir à petit feu alors qu’ils reprogrammaient leur machinerie afin de forger un S.O.S. visible depuis l’orbite sous la forme d’une forêt d’arbres de métal dont l’organisation structurelle compose des mots, des phrases indélébiles et éternelles. Quelle superbe façon d’écrire son nom dans l’histoire d’un système stellaire !
Trudel profite également de ces deux tomes pour donner un sens beaucoup plus critique et sérieux à cette série, déjà en germe dans le second volume. Le comportement humain y est désormais sévèrement critiqué, en montrant ses travers les plus sordides dans son traitement de l’Autre, l’Autre étant évidemment, ici, les Glogs, qui sont ostracisés, opprimés, confinés dans des ghettos comme les Noirs du régime de l’Apartheid en Afrique du Sud – quand ils ne sont pas simplement massacrés. « À chaque fois que les humains ont fondé un empire interstellaire, ils se sont empressés de conquérir les Glogs. » (p. 70)
D’ailleurs, Mikkkilo Iloha, avec ses idéaux de libération de son peuple par le dialogue et la non-violence, par sa volonté de voir les humains et les Glogs vivre en paix sur des bases égalitaires, fait figure d’une sorte de Mandela. La comparaison se tient ; après tout, au moment où les deux romans furent publiés, l’abolition du régime honni de l’Afrique du Sud est encore toute récente. En même temps, cette hégémonie des humains envers les Glogs n’est pas unidirectionnelle, et Trudel complexifie la géopolitique interne de sa série en insérant cet épisode qui raconte, durant la période de domination glog de Serendib, le contrôle technologique exercé par ces derniers, lesquels forçaient les peuplements humains à demeurer dans un niveau technologique en deçà de la vapeur, détruisant systématiquement, à coups de missiles nucléaires s’il vous plaît, toute installation technologique humaine.
Par cet épisode, Trudel cherche à montrer que l’animosité entre les deux espèces est profondément enracinée, et que toute tentative de rapprochement politique se heurte nécessairement aux souvenirs d’anciennes blessures, de vendettas plusieurs fois centenaires, d’une méfiance xénophobe, voire carrément raciste. De cette façon, la réussite de l’Assemblée constituante organisée sous l’instigation de Mikkkilo devient d’autant plus exaltante aux yeux du lecteur, qui n’a d’ailleurs jamais l’impression que celle-ci aurait dû être un échec dès le départ. Évidemment, à rebours, on se dit que tout ça est peut-être un peu naïf ; mais en même temps, on se surprend à espérer que d’autres conflits séculaires, bien réels ceux-là, prennent exemple sur les peuples de Serendib (le Proche-Orient, ça vous dit quelque chose ?).
Je m’en voudrais de terminer cette critique sans mentionner que Trudel prend soin d’approfondir la relation que les Glogs entretiennent avec leur langue, le Kilokkk. Ainsi, on apprend que pour un Glog, la langue Kilokkk est davantage qu’un simple outil de communication ou d’identité culturelle, ce qui est fort intéressant. Pour un Glog, communiquer en Kilokkk avec un autre individu parlant également le Kilokkk équivaut à échanger dans un contexte plus fort, plus profond que l’amitié. L’échange devient alors un lieu fraternel, clanique ; d’où le concept de « phratrie » développé dans la série. Les Glogs deviennent de plus en plus sympathiques, complexes et riches d’une culture que l’on voudrait connaître davantage, dépassant complètement le statut « d’extraterrestres » pour adopter celui de peuple, de culture à part entière.
Bref, ce qui apparaissait au premier tome comme une série pour ados aux accents un peu simplistes se transforme graduellement en une œuvre complexe et nuancée. On referme le quatrième avec une véritable sensation d’accomplissement, riche de sens sur tous les aspects. Et on en redemande. [MRG]
- Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 195-199.
Références
- Cadot, Richard, Lurelu, vol. 19, n˚ 2, p. 26.
- Martin, Christian, Temps Tôt 42, p. 51.