À propos de cette édition

Éditeur
Québec/Amérique
Titre et numéro de la collection
Littérature d'Amérique
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
282
Lieu
Montréal
Année de parution
1996
ISBN
9782890377974

Résumé/Sommaire

Dans les instants qui suivent sa mort brutale s’apparentant à un suicide, Louis Thibert refuse d’emprunter le tunnel au bout duquel brille une lumière éblouissante. Il diffère ainsi le passage à l’étape suivante pour plutôt aboutir dans des limbes, planant au-dessus du monde, « hors de la vie sans pourtant être entré tout à fait dans la mort. » Il découvre alors que l’après-vie s’accompagne de pouvoirs, comme lire dans les pensées et orienter d’une manière subtile le cours des événements. Avant qu’il n’en abuse cependant, l’ange Amazarel intervient pour s’assurer qu’il ne pourra influencer la vie terrestre.

C’est que Thibert a un plan : des mois avant son décès, il avait planifié qu’un autre raconterait sa vie faute d’y arriver lui-même. L’autre, un ex-confrère de collège, s’appelle Marc Bachand et enseigne la littérature comparée à l’université. Les deux se fréquentèrent un temps sans pourtant devenir des amis. Thibert a donc semé, à l’intention de Bachand, une série d’indices devant mener à la reconstitution de sa biographie.

Poussé par une force qu’il ne peut s’expliquer, ce dernier revisite des lieux, rencontre des connaissances communes, associe des souvenirs à des témoignages pour ainsi obtenir un tableau de l’existence tumultueuse de Thibert, sa bigamie, ses rêves avortés d’écrivain, sa carrière internationale d’agronome en pays exotiques, ses frasques d’étudiant, ses habitudes de mensonge, de manipulation et de dissimulation, ses relations ambigües avec son père, sa mort en bravache dans une funeste maison close ouverte à tous vents. Au final, Bachand réalisera-t-il le projet élaboré par Thibert pour se procurer une vie éternelle grâce à la littérature ?

Commentaires

Du début à la fin du roman, François Jobin alterne systématiquement les deux narrateurs, Thibert et Bachand, mettant en opposition le mort et le vivant, celui qui observe, qui tente de contrôler l’exécution de son stratagème et celui qui détricote l’histoire du premier. Ainsi, les chapitres Thibert sont dénués d’action, le défunt ayant surtout à cœur le suivi de son plan malgré la mission de l’ange Amazarel de le sortir des limbes au plus coupant. Leurs conversations oiseuses ne font d’ailleurs qu’étirer la sauce en ressassant des explications que le lecteur a déjà comprises et sur lesquelles il est inutile d’insister.

Quant aux chapitres Bachand, ils se présentent comme une enquête un peu décousue au cours de laquelle le vif tente de remonter le cours du temps à partir de ses propres souvenirs et de ses intuitions. En plus de se situer à des états distincts de l’existence, les deux personnages s’opposent aussi par le caractère. En effet, Marc Bachand mène une vie routinière, désincarnée et ennuyeuse de quadragénaire célibataire. Ultra-rationaliste, il a peur de la vie et de ses mouvements malgré son ascendance : à tout propos, il invoque feue sa mère, Colombienne métissée d’Espagnol et d’Inca, nourrie de réalisme magique, qui cautionne en quelque sorte la dimension fantastique du récit.

De l’autre côté, le bigame Louis Thibert a menti toute sa vie, il s’est montré fantasque, égocentrique et arrogant ; il a tout essayé, il a bravé tous les interdits. Mais il a raté sa vie, du moins selon la vision de son père et les critères implicites du récit. Serait-ce donc la leçon que veulent nous servir ces personnages unidimensionnels et sans grande consistance ? Il faudrait ne rien tenter, ne rien oser ? passer sa vie à tergiverser, à nourrir ses peurs, à fuir la passion ? Parce que celui qui ose, qui force les barrières, qui défie les interdits est condamné à l’échec et à l’oubli ?

Par ailleurs, l’auteur aborde des thèmes sérieux comme la mort, l’identité, la filiation, le sens de la vie, la littérature, l’écriture mais sans les approfondir, avec légèreté mais sans une once d’humour. Le récit puise dans un imaginaire ésotérique en vogue vers le milieu des années 90, comme les anges ou le passage à une après-vie décrit comme une lumière au bout d’un tunnel. Vue d’aujourd’hui, cette imagerie paraît datée et obsolète. Globalement, le livre peut se lire comme un recueil de souvenirs de collégiens, les mémoires d’un vieux radoteux qui revient sur ses galéjades de carabins, un tissu d’anecdotes plus ou moins pertinentes par rapport au récit. Tout ça dans un luxe de détails sur les objets, le décor, comme s’ils jouaient un rôle dans l’intrigue alors qu’il n’en est rien.

À cet égard, La Deuxième Vie de Louis Thibert rappelle Les Choses de Georges Pérec sans toutefois l’ironie féroce et la cinglante critique du matérialisme de l’Oulipien. L’écriture soignée, voire appliquée, manque souvent de spontanéité ou de vivacité. Par moments, elle apparaît même empesée et affectée. L’auteur cherche souvent à faire de l’effet sans parvenir à la poésie. Le personnage de Marc Bachand emploie souvent un langage précieux et snob ; par exemple, voici comment il décrit la musique qu’il entend à la radio : « …un hybride syncopé issu du croisement de percussions africaines avec les miaulements de la lutherie électrique américaine. »

Au final, l’auteur a publié un roman trop écrit mais un peu court d’inspiration. Beaucoup d’huile de coude – bien qu’il s’agisse d’huile de coude de qualité – qui finit par noyer l’essentiel du propos dans une sauce aussi généreuse que fade. [RG]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 101-103.

Références

  • Allard, Jacques, Le Devoir, 02/03-03-1996, p. D 5.
  • Fortin, Marie-Claude, Voir (Québec), 22/28-02-1996, p. 15.
  • Landry, Jenny, Québec français 102, p. 13.
  • Martel, Réginald, La Presse, 18-02-1996, p. B 4.