À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Évoluant dans « la meilleure société » de Montréal, Alexis Provost est le père de deux jeunes filles, l’une, Alice, plutôt frivole comme sa mère l’était à son âge, l’autre, Arthémise, sérieuse et pieuse, sage et réservée comme son père. Un jour, les Provost reçoivent d’un grand personnage une invitation à un bal prestigieux. Seule condition : « les dames devaient porter des robes décolletées et à manches courtes », car le grand personnage voulait contempler à loisir la chair féminine.
Le narrateur note que cela choque profondément « nos bonnes Canadiennes », et c’est à contrecœur qu’Arthémise se costume pour la soirée. Alice, en revanche, y va avec grand plaisir. Or, vers onze heures, apparaît un très beau jeune homme, « qui disait se nommer Frank McArthur […], officier dans l’armée anglaise », et qui se met à faire la cour à Alice ; il lui fait une déclaration d’amour et lui offre un collier. Bientôt, le collier se fait lourd et brûlant, mais Alice décide d’entrer chez elle avec McArthur.
Lorsque ses parents et sa sœur arrivent à la maison, ils trouvent le cadavre calciné d’Alice et comprennent que « chose épouvantable, le jeune homme […] était Satan, le roi de l’enfer en personne ». Sur le coup, le père meurt, la mère devient folle, et Arthémise « se dispose à entrer dans un monastère ».
Commentaires
Cette version du diable beau danseur, autre forme de la célèbre légende de Rose Latulipe (« L’Étranger » de Philippe Aubert de Gaspé, fils) possède quelque chose de révélateur non pas tant sur la conception du fantastique de l’époque, que sur l’évolution (ou la stagnation) des mœurs à la fin du XIXe siècle. La figure étrange et surnaturelle du diable – et des mauvaises mœurs – est ici confondue avec la société de langue anglaise, alors que la société canadienne, strictement catholique et de langue française, est associée avec des valeurs hautement morales. Le diable n’est pas seulement le diable comme c’est le cas un demi-siècle plus tôt chez Aubert de Gaspé, mais un officier de l’armée anglaise qui vient corrompre une Canadienne lors d’une fête organisée par un grand personnage innommé, mais sans doute associé à la société régnante, c’est-à-dire anglaise, dans le Montréal huppé d’alors.
Même le motif du collier, qui pouvait être lié à une forme de mainmise du diable sur Rose Latulipe, prend plus de poids chez Morissette, en ce sens où sa lourdeur rappelle avec force le poids de la société anglaise et aussi le poids des péchés qu’elle fait commettre aux Canadiennes. Le fait que ce collier brûle la peau évoque aussi le fait que jouer avec le feu – c’est-à-dire le diable ou l’Anglais – conduit directement à la mort du corps, à la perte de l’âme et à la damnation éternelle dans les feux de l’enfer.
De manière infiniment plus lourde et plus didactique que dans la légende de Rose Latulipe, « Le Diable au bal » est le signe métaphorique qu’une certaine partie de l’élite se sentait envahie par un mal qu’elle côtoyait et près duquel elle avait peur de perdre son âme. [MLo]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 142-143.