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Les quatre récits contenus dans Le Diable au marais de Pierre-Yves Pépin relatent des événements qui auraient eu lieu, il y a longtemps, dans la région du lac Saint-Pierre. Ces récits ont un point commun : la présence à peine camouflée du diable et de ses méfaits.
Bien étrange recueil que Le Diable au marais. On aurait envie de crier au génie ou de le lancer par la fenêtre. Le contenu, les intrigues appartiennent à un autre siècle, l’écriture aussi. En effet, Le Diable au marais est un livre qui sonne vieux. On s’étonne, à sa lecture, de ne pas être envahi par l’odeur étouffante des vieux livres qui ont pris l’humidité. Personne n’écrit plus comme cela aujourd’hui, ou presque.
Et pourtant, on ne peut pas le condamner tout à fait. Ce qui accroche, c’est peut-être la présentation incroyablement soignée du livre lui-même, sa facture irréprochable. Le style est châtié, parfois même lyrique. On assiste à de belles envolées pour être ensuite ramené sur terre par l’intervention constante du narrateur. Comme si ce dernier se croyait obligé de nous dire : « Écoutez… Ceci n'est qu'une histoire inventée pour faire peur aux enfants ! ».
On serait tenté de classer le recueil de Pépin sous la rubrique “fantastique canonique”, mais encore là… Dans Le Diable au marais, rien ne nous effraie ; bien au contraire, tout nous rassure. D’abord, la narration au plus-que-passé, puis le narrateur lui-même, qui voit tout, qui sait tout et qui, par surcroît, se permet de préciser qu’il est constamment en train de “relater” quelque chose. Nous ne sommes jamais impliqués dans le récit, nous n’y sommes jamais confrontés. C’est tellement loin, tout ça, que ce n’est pas la peine de s’en faire. Et c’est ce qui nuit au recueil. Le fantastique exige une volonté de croire de la part du lecteur. Or ici, on nous raconte des événements, mais on nous défend d’y porter la moindre foi.
Où veut-on en venir ? Est-ce là une parodie des vieux contes fantastiques où le diable s’empare des âmes mauvaises et le bon Dieu, des pures ? Nous aurions plutôt envie de dire : De qui se moque-t-on ? De ceux qui ont déjà cru à ce genre d’histoires, de ceux qui y croient encore, ou de ceux qui ne croient en rien ?
Précisons toutefois que certains textes sont nettement mieux réussis que d’autres, si réussite il y a… « Les Contrebandiers du jour des morts » sent le déjà-vu, on s’en doutait. Pour utiliser le thème des morts-vivants et du pèlerinage à intermittence avec une certaine originalité, il faut être plus convaincu que cela.
« Sanguine la sauvagesse » nous paraît, et de loin, le meilleur texte du recueil. Il est rempli de trouvailles poétiques et la protagoniste possède une certaine profondeur, ce dont la majorité des personnages du recueil sont dépourvus.
« La Bête mystérieuse de la Girodeau » n’a rien de mystérieux. C’est du diable dont il s’agit et on ne nous laisse même pas la chance d’y voir autre chose.
« La Fin diabolique du Riviera » est le texte le plus drôle du recueil. Si Le Diable au marais est une parodie des vieux textes fantastiques, c’est là que le talent de Pépin atteint son apogée. Les personnages sont si méchants, leurs activités sont si douteuses qu’ils n’ont en fin de compte que ce qu’ils méritent. Mais nous ne sommes pas convaincus que l’auteur le voulait ainsi…
Malgré sa belle présentation, Le Diable au marais de Pierre-Yves Pépin ressemble à une grande enveloppe vide. Une adresse, de la place pour insérer des mots, mais rien de concret. Trop de promesses et pas de marchandises. Ou plutôt de la vieille marchandise. Belle, mais vieille et on ne peut plus passée de mode. Dommage. Pépin possède un réel talent d’écriture. Mais le fantastique n’est peut-être pas à sa portée. [CL]
- Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 143-144.
Références
- Larocque, François, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 246-247.