À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Une étudiante découvre dans l’une des poches d’un paletot qu’un passant a lancé dans sa direction cinq doigts d’une main gauche reliés entre eux par un lacet. Elle tente sans succès de s’en défaire. En échange de son âme, les doigts promettent à la jeune fille la fortune. Ils écrivent un premier, puis un second livre qui la rendent célèbre et riche. Mais les doigts se font de plus en plus pressants autour de son cou…
Commentaires
Andrée Maillet s’est fait une spécialité d’ausculter les mœurs de la société québécoise, particulièrement de la bourgeoisie, et de peindre des caractères amoureux dans un contexte socio-économique bien défini. Auteure réaliste, elle a néanmoins écrit, avec « Les Doigts extravagants », une nouvelle véritablement fantastique.
Sur le thème de l’individu qui vend son âme au diable, elle brode une belle variation qui souligne son esprit de liberté. Il fallait une certaine audace de sa part pour évacuer de cette histoire toute allusion au mythe de Faust et au pacte diabolique. L’auteure ne fait jamais intervenir dans son récit des considérations religieuses sur l’âme ou la damnation éternelle. C’est d’autant plus louable que la nouvelle a été publiée quelques années seulement après la fin du régime de Duplessis, caractérisé par l’autorité morale du clergé.
Si le personnage de Mme Maillet n’est pas heureux de sa fortune, il n’est nullement rongé par le remords de la faute. Ce n’est pas l’ambition qui l’a poussé à accepter ce pacte mais la fatalité, la lâcheté. La narratrice regrette plutôt la perte de son identité. Elle ne se reconnaît pas dans cet écrivain célèbre qu’on adule.
Sans doute Andrée Maillet qui, comme la narratrice, a connu la bohème à New York a-t-elle un jour rêvé d’une carrière artistique prestigieuse. Son intégrité et son indépendance d’esprit l’ont protégée contre les compromis. Cette nouvelle, devenue un classique de la littérature fantastique québécoise, en témoigne éloquemment : une écriture simple dont l’efficacité dramatique tient en bonne partie à l’emploi du « je », un refus de moraliser, un ton juste appuyé par le réalisme du cadre narratif.
« Les Doigts extravagants », un texte qui n’a pas pris une ride. [CJ]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 123-124.