À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Alors qu’il n’est encore qu’un enfant de huit ans, Qémaël est enlevé et amené sur la planète Stilde où on lui prodigue un enseignement de première qualité tout en veillant sur sa sécurité. Le garçon est le seul survivant parmi les huit dauphins à qui les généticiens de l’empire ont accordé les qualités nécessaires pour devenir plus tard le maître de l’univers et succéder à Vérati, le Saint-Vivant, qui est considéré comme le Rédempteur des hommes pour les avoir affranchis de l’esclavage des Innommables, des animaux dotés d’intelligence.
Toutefois, divers groupes aspirent à prendre le pouvoir à la mort de Vérati, dont les Prêtres de la Seconde Rédemption. Pour cela, ils sont prêts à éliminer Qémaël. Une faction radicale de la secte tend un piège au jeune homme en se servant de l’amour qu’il éprouve pour sa cousine Vanelle dont il est séparé. Il est contraint à servir les intérêts de la Loge en acceptant une mission qui consiste à aller tuer un homme dans le futur.
Qémaël remplit sa mission et, à son retour, il est sauvé de la mort par le Commandeur de la Confrérie de la Seconde Rédemption qui veut se faire du capital politique tout en éliminant un rival trop ambitieux et pressé. Qémaël est remis au souverain de Stilde, Vérati, qui l’informe de ses origines et du rôle auquel on le destine. Le jeune homme ne veut pas assumer ces lourdes responsabilités et épouser Djéhilda, fille d’une remarquable beauté et intelligence, seul enfant de la famille impériale. Qémaël n’aspire qu’à la liberté et veut consacrer sa vie à Vanelle. De plus, il s’est juré de tout faire pour retrouver l’homme qu’il a tué dans le futur afin de le sauver.
Vérati lui fait comprendre qu’il n’a pas le choix, qu’il n’a pas le droit de refuser son destin en préférant sa liberté à celle, menacée, des hommes. Qémaël sait maintenant quelle est l’identité de l’homme que la faction radicale des Logeurs l’avait chargé d’abattre.
Commentaires
Cinq ans après la parution des Griffes de l’empire, Camille Bouchard nous offre la suite de cet opéra galactique. L’Empire chagrin peut cependant se lire de façon indépendante, les événements racontés se déroulant plusieurs siècles après la fin du premier récit. Seul le personnage de Vérati, le Saint-Vivant qui détient le pouvoir suprême sur Stilde et qui gouverne l’empire, est présent dans les deux romans.
Les Griffes de l’empire montrait comment cet artiste, plus intéressé par son art que par la politique, était amené contre son gré, en échange d’une quasi-immortalité, à prendre la tête des insurgés qui voulaient libérer les Hommes de la domination cruelle des animaux. L’Emprire chagrin reprend le même thème – et en cela, l’auteur fait montre de peu d’originalité – en suivant l’itinéraire existentiel de Qémaël qui vit les mêmes déchirements que son prédécesseur.
Farouchement indépendant, Qémaël n’éprouve aucun goût pour le pouvoir et aucun intérêt pour l’avenir de l’homme. Il veut être libre de faire ce qu’il veut et couler des jours heureux en compagnie de l’amour de sa vie, Vanelle. Les prétentions de Vérati qui fait appel à la raison d’État placent Qémaël dans un dilemme cornélien : le devoir ou l’amour, le sens des responsabilités ou la liberté ?
Les événements décideront un peu pour lui. Vanelle sera victime des mauvais traitements que lui font subir les ennemis de Qémaël et Vérati forcera la main du destin en faisant le sacrifice de sa vie au bon moment. Qémaël sera ainsi « condamné » à gouverner l’univers, à faire régner l’harmonie. On peut donc résumer ainsi la pensée politique de l’auteur : il faut remettre le pouvoir aux mains de ceux qui ne le veulent pas car ceux qui le veulent trop n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts et ne recherchent le pouvoir que pour le pouvoir. Avouons que le raisonnement est assez simpliste.
Cette lutte pour le pouvoir, qui divise même la Loge des Prêtres de la Seconde Rédemption, m’a fait penser à plusieurs reprises au deuxième tome de L’Oiseau de feu de Jacques Brossard dans lequel s’affrontent deux clans à l’intérieur de la Centrale. Le roman de Bouchard n’a évidemment pas la même complexité – les deux premiers tomes de Brossard font 1000 pages – mais on y retrouve le même souci de dépassement, la même recherche d’un état meilleur pour l’homme, Vérati étant en quelque sorte l’émule du Vieux. Autre analogie : l’armée des Anges responsable de la sécurité de l’empire comme les Anges qui surveillent les Périphériens, et la structure hiérarchique de la Loge reconnaissable par différentes couleurs comme les sociétés secrètes de Manokhsor. Ainsi,Ll’Empire chagrin est un peu la version pour adolescents de L’Oiseau de feu.
Ce qui étonne le plus cependant, ce sont les valeurs véhiculées par le roman de Bouchard. Même si l’auteur de Forestville a vingt ans de moins que son aîné, il affiche un conservatisme qui rattache la science-fiction qu’il pratique à celle des années cinquante. L’exemple le plus frappant est le rôle de Djéhilda qui renforce les stéréotypes sexuels. Certes, elle fait montre d’une intelligence supérieure qui peut en imposer, mais à quoi servira-t-elle ? Et comment peut-elle accepter sans réserve le rôle que le Conseil des Votants lui a dévolu ? « Dès l’instant où elle a vu le jour, sa destinée était tracée : vivre pour aimer et servir l’empereur, porter et mettre au monde ses descendants. Djéhilda a vu le jour avec en son code génétique un amour total et absolu pour l’homme qui deviendrait le naïmbalita. »
Quel contraste avec la pensée féministe qui traverse les textes d’Élisabeth Vonarburg et de Guy Bouchard ! L’univers romanesque de Camille Bouchard est un monde d’hommes dans lequel les femmes (Djéhilda et Vanelle) comptent pour bien peu. À la base du récit de Bouchard, il y a aussi cette idée, quelque peu subversive et contestable, que l’agressivité de l’homme, qui avait fait l’erreur de s’en départir, est essentielle pour gouverner et qu’elle est la sœur jumelle de la créativité.
L’écriture ne fait pas oublier le contenu traditionnel que recèle le récit. Sans doute en raison de son expérience de scénariste et de sa pratique de l’art théâtral, Bouchard est plus à l’aise dans les dialogues que dans les descriptions. Son écriture n’est pas exempte de tournures lourdes ou d’expressions fautives. Elle démontre, si besoin était, que l’auteur n’est pas un styliste. Cependant, il sait insuffler un rythme soutenu à son récit et fait preuve d’originalité grâce à quelques trouvailles comme les animarbres et les troupeaux de pierres-qui-roulent.
L’auteur a fait des progrès sur le plan de la cohérence interne du récit de sorte qu’à tout prendre, L’Empire chagrin est mieux réussi que le roman précédent. Les intentions de l’auteur sont peut-être nobles – « remettre au goût du jour des valeurs immuables que l’on a souvent tendance à bouder un peu : fidélité, idéalisme, don de soi et soif d’harmonie » comme l’affirme la préfacière, Angèle Delaunois – mais les moyens qu’il met en œuvre pour nous en convaincre n’emportent pas notre adhésion inconditionnelle. Je ne m’y suis pas ennuyé mais sur le plan intellectuel, ma tolérance a été souvent mise à rude épreuve. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 37-39.
Références
- Gladu, Johanne, Lurelu, vol. 15, n˚ 1, p. 21.
- Martel, Julie, Solaris 100, p. 58.
- Martin, Christian, Temps Tôt 16, p. 47-48.
- Sarfati, Sonia, La Presse, 05-01-1992, p. C 3.
- Simard, Stéphanie, imagine… 59, p. 128.