À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Hélène Braun est une adolescente de seize ans, renfermée et mal dans sa peau, surtout depuis la mort de sa mère qui l’a laissée seule en compagnie de son père Stephen, professeur d’université et spécialiste d’Antoine-Marie Rebuchet, un obscur poète. Heureusement, Hélène aime son père. Elle l’aime même un peu trop comme en témoigne sa terrible réaction de jalousie lorsque son père revient de voyage avec à son bras Livia, une superbe jeune femme au corps gracile et à la peau de velours.
Dès lors, la peur et le dépit s’installent dans l’esprit d’Hélène. Elle ne peut pas accepter le fait que Livia puisse aimer son père – cette espèce d’intellectuel distrait – d’un amour vraiment désintéressé. Cette femme ennemie est trop belle, trop sûre de ses charmes, trop mystérieuse pour être honnête. À moins que tous ces soupçons ne soient que la conséquence de la jalousie d’Hélène, qui se croit moche, incapable de vraiment intéresser Mark, le garçon qui lui fait la cour. À moins… oui, à moins qu’Hélène ne soit folle, tout simplement…
Commentaires
Après nous avoir offert Le Corbillard et Grignotements, ses deux premiers romans fantastiques également parus dans la collection Échos des éditions Héritage, Brian Eaglenor nous livre encore un solide roman qui confirme sa place de premier plan dans le fantastique québécois pour la jeunesse. Eaglenor donne l’impression d’un écrivain qui comprend très bien les mécanismes du fantastique, qui a réfléchi sur la manière dont les peurs et les inquiétudes de l’existence donnent naissance aux métaphores que sont les créatures surnaturelles. C’est un écrivain qui contrôle ses effets, qui sait choisir dans le vaste bestiaire fantastique les créatures qui rejoindront avec le plus d’efficacité le public choisi, les adolescents des années 90 (pour ne pas dire les adolescentes, dans ce cas particulier).
Eaglenor n’y va pas avec le dos de la cuillère en optant pour un choix audacieux. Hélène est une héroïne psychologiquement faible. Il nous la montre sans fard, littéralement amoureuse de son père, absolument incapable de concurrencer Livia, cent fois plus belle et sophistiquée. Le conflit entre une fille et la nouvelle femme de son père est aussi vieux que le monde, et ses variations fantastiques nous renvoient jusqu’aux contes classiques européens dont l’exemple le plus marquant est Cendrillon.
Eaglenor n’aurait pu dénicher sujet plus convenu, et c’est tout à son honneur de constater avec quel naturel il intègre cette trame dans un Montréal on ne peut plus quotidien, avec des résonances on ne peut plus plus contemporaines. Car Livia n’est pas seulement une belle-mère, c’est aussi une femme physiquement parfaite, une incarnation de cet idéal de beauté impossible à atteindre que les médias offrent en permanence aux adolescentes d’aujourd’hui. Faut-il s’étonner qu’Hélène, en comparaison, se trouve moche, indigne de l’amour de Mark, de la même façon que toute jeune fille réelle ne peut que se sentir moche comparée aux mannequins internationaux omniprésents dans les publicités et les vidéos rock ?
Bien entendu, cette peinture du Montréal contemporain est trompeusement naturaliste : la plus grande qualité d’Eaglenor est sa maîtrise de l’ambiance, ingrédient d’une importance suprême en fantastique. Malgré une remarquable économie d’effets grand-guignolesques, il est rare de ressentir pareil sentiment d’oppression et d’angoisse dans un roman jeunesse, d’autant plus qu’Eaglenor s’amuse à toujours nous faire douter du point de vue d’Hélène. Au chapitre 8, lorsque Livia tente de se faire amie avec Hélène, ses explications sont si convaincantes qu’on en reste désarçonné, on ne sait plus quoi penser. En effet, qu’est-ce qui est plus horrible que de mourir assassinée par sa belle-mère, sinon se rendre compte que l’on imagine tout cela, que l’on est complètement névrosée, folle à lier ?
Ma seule réserve – et j’hésite à la formuler tellement elle m’apparaît mineure – concerne la finale constituée d’une conversation entre deux policiers, qui apparaît un peu brutale dans un roman où, pendant 254 pages, le lecteur ou la lectrice n’avait bénéficié que du seul point de vue d’Hélène. Bien qu’efficace pour apporter un éclairage nouveau aux événements jusqu’ici vécus par une seule personne, ce brusque changement de point de vue m’est apparu inélégant, l’équivalent d’un deus ex machina narratif. Je veux bien admettre que ma sensibilité soit excessive à cet égard et je ne voudrais pas terminer autrement que par un souhait positif : j’attends avec impatience les prochains romans fantastiques de Brian Eaglenor. [JC]
- Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 85-86.
Prix et mentions
Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois 1998
Références
- Fontaine, Catherine, Lurelu, vol. 20, n˚ 2, p. 23.