À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
L’Organisation des Nations Utopiques (ONU) siège à New York : il s’agit de mettre sur pied un monde nouveau, où les animaux – intelligents, et qui parlent – jouiront tous des mêmes droits que les humains. Des activistes animaux essaient d’influencer les délégués, la Bande de Loup aux États-Unis, par exemple, et celle plus violente de Panthère, en Allemagne. Pigeon, un émissaire de celle-ci, se rend auprès de celle-là, transformant son action jusque-là pacifique. La Bande de Loup enlève le délégué américain à l’ONU. Celui-ci sème la zizanie dans les troupes, déjà quelque peu divisées sur la marche à suivre.
Pendant ce temps, un bateau vogue à la recherche du dernier rorqual aperçu dans l’océan (les cétacés ont disparu depuis longtemps, victimes de la pollution). À bord se trouvent des idéalistes d’obédiences diverses, Pierre-Olivier Chapleau, un délégué québécois en rupture d’ONU, David Davidovitch, un Juif en rupture de souvenir (troublé par ce qu’il considère comme le virage fasciste d’Israël, il a mis le feu à plusieurs monuments de la Mémoire Juive), Nguyen Thùy, une musicienne vietnamienne qui veut communiquer par la musique avec le rorqual, Marie-Jo, une jeune activiste « rockeuse », « Kafka », un amateur de Kafka, et Cardoso, un homme privé d’amour et qui se drogue au chocolat.
Pendant que la situation se détériore sur le front onusien (la Bande à Panthère, capturée, est liquidée en prison par un gouvernement allemand, la Bande de Loup est massacrée, les animaux quittent les négociations), le Moby Dick trouve le rorqual, pour le voir assassiné par un baleinier payé par des compagnies de cosmétiques pour tuer ce dernier cétacé. Le bateau fait naufrage, plusieurs des naufragés meurent. À son retour sur terre, David est capturé par le Mossad : il sera jugé et emprisonné à vie. Les survivants de l’équipée, et un certain Francis Dupuis-Déri, ont décidé d’affréter un second bateau pour partir à la recherche d’un autre cétacé dont ils veulent croire en la survie, quelque part dans l’océan.
Commentaires
Ce roman s’inscrit dans la tradition d’une certaine fantaisie québécoise, j’entends par là l’humour « hénaurme » et féroce d’un Emmanuel Cocke ou d’un Marcel Moussette, dont on peut aussi considérer Jean-Pierre April ou même Michel Bélil comme des héritiers. Mais on est en 1991, plusieurs générations ont coulé sous le pont, et la fantaisie est d’autant plus noire et chaotique que l’auteur est plus jeune. On peut admirer l’audace de Francis Dupuis-Déri : la prémisse est pour le moins difficile à manier, même si le texte reconnaît au passage (et a contrario) sa dette envers Orwell et sa Ferme aux animaux. Utopie, contre-utopie, critique sociale et politique (les commentaires transparents sur la Bande à Baader, ou ceux visant l’État d’Israël), fantaisie, voire farce animalière… et en même temps réflexion plus ou moins romantique sur les rêves détruits, les causes perdues (le personnage de Davidovitch, et les réflexions de Chapleau sur la nature du Québec enfin indépendant, mais mal indépendant), la jeunesse qui se trahit elle-même en vieillissant : l’erreur est humaine – les humains sont une erreur !
On veut mettre beaucoup de choses dans un premier roman, et le miracle, c’est que ce texte y parvient presque, sans que les coutures soient trop maladroites. La division en chapitres y est pour beaucoup, tout comme la pratique du « collage » (des extraits de journaux ou de communiqués d’agences de presse, inventés ou réels, on ne sait trop). Les humains ont leurs chapitres, chacun pourvu de son propre narrateur. Les animaux sont décrits par un narrateur animal, Puce Rond, malheureusement trop distancié de leurs problèmes (c’est un parasite ; le choix n’en est sans doute pas innocent : à défaut d’un narrateur humain, quoi de mieux ?).
Les problèmes du texte résultent cependant de son ambition même : on s’y est trop mis, on s’est trop fait plaisir. Les sautes de ton et de registre y sont trop nombreuses, de l’humour potache (les jeux de mots sur Puce Rond, Puce Ho et autres Puce Tule, la citation d’un auteur « fictif » que le milieu québécois de SF reconnaîtra, Philippe Gauthier) aux soudaines éruptions de parler québécois, trop rares pour constituer un système et qui apparaissent alors comme des « faiblesses de style », en passant par le bavardage psychologisant et les tropismes narcissiques apparemment inévitables chez les jeunes écrivains (la présence de l’auteur comme personnage, à la toute fin).
On pourrait évidemment parler de « post-modernisme », de « bricolage » et autres « carnavalesque » pour tenter de justifier le fait que ce roman s’en va dans tous les sens, du plus gros comique au tragique le plus prenant (la scène du harponnage du rorqual, fort réussie). Mais ce serait jargonner inutilement à l’occasion de ce qui est, en fait, un premier roman, avec beaucoup des défauts d’un premier roman, mais aussi quelques-unes des qualités permettant de définir l’auteur comme « prometteur ». [ÉV]
- Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 75-76.
Références
- Gaille, Nicolas, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 307-308.
- Gervais, Jean-Philippe, Solaris 99, p. 43-44.