À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
[9 FA ; 5 HG]
La Naissance du brouillard
L'Épouse de l'aigle
Comment l'orphelin devint un grand chasseur
La Légende de Lumaajuq
L'Esprit de la lune
Histoire de la femme qui se changea en loup
Le Bébé qui avait grandi subitement
La Naissance des goélands
Sikuliasuituq, celui qui ne pouvait aller sur la glace
Le Cadeau de la sirène
Du danger de siffler certaines nuits
Histoire de la vieille femme qui tua un ours
La Femme abandonnée et son fils
Comment l'ours blanc perdit sa queue
Commentaires
Pour bien des lecteurs québécois d’œuvres de fiction, du moins ceux de ma génération, le premier contact avec la culture inuite a été un roman d’Yves Thériault, Agaguk, paru en 1958. De tradition essentiellement orale, les textes qui témoignent de l’imaginaire inuit sont encore peu nombreux et nous parviennent sous la forme de courts contes. Jacques Pasquet, qui a été en contact avec les communautés inuites en tant que conseiller pédagogique en français à la Commission scolaire Kativik, a réuni quatorze contes dans L’Esprit de la lune. La moitié d’entre eux sont inspirés d’une sculpture et d’un récit de Davidialuk Alasuaq, un important artiste du Nunavik.
Dans un court avant-propos, Jacques Pasquet explique ainsi son projet en parlant des histoires recueillies : « Les écrire, c’est un peu les mettre en cage. Pourquoi le faire alors ? Tout simplement parce que de nos jours les paroles conteuses risquent de se perdre, noyées dans le déluge des bruits et des images, blessées à mort par l’absence de mémoire. […] Cette cage où je les ai mises n’a pas de porte. » C’est tout le dilemme de la transcription des contes oraux. Cette pratique nous permet en revanche d’appréhender un tant soit peu l’imaginaire inuit, dont les origines remontent à une époque lointaine où l’univers des humains et des animaux se confondait. C’est pourquoi les humains se métamorphosent en animaux et vice versa dans plusieurs des récits présentés ici.
Contrairement aux contes de tradition européenne, il n’y a pas de morale à la clé dans la plupart de ces contes inuits. Du moins, ce n’est pas le but premier du conteur même si le récit se conclut souvent sur une vengeance à la suite d’un acte ou d’un comportement répréhensibles. Dans « Histoire de la femme qui se changea en loup », il n’y a aucun motif qui explique cette mutation : c’est dans l’ordre des choses, comme une conséquence de la vie solitaire de cette femme à l’écart de sa communauté. La méchanceté des humains, qui s’exprime par la violence physique ou la jalousie, représente le principal moteur de ces récits. Les difficiles conditions de vie (menaces continuelles de famine, climat rude), un leitmotiv qui revient souvent, semblent affecter le caractère des humains et faire ressortir leur côté sombre. « La Femme abandonnée et son fils » représente un exemple typique du manque d’empathie et de tolérance dont se rend parfois coupable la communauté.
L’Esprit de la lune ne se cantonne toutefois pas dans la noirceur de l’âme humaine. On y trouve aussi une bonne dose de poésie, de la légèreté et de l’humour comme dans « Comment l’ours blanc perdit sa queue » et « Le Cadeau de la sirène ». Ce dernier conte contient une subtile et amusante critique de la société de consommation de l’homme blanc. Un fusil, voire une machine à coudre, peut s’avérer utile dans le grand nord, mais un tourne-disque ? Voilà une jolie fable sur l’esprit matérialiste qui a appauvri l’imaginaire, étant par le fait même à l’origine de la disparition des sirènes.
Pour la veine poétique, on retiendra « La Naissance des goélands » et, surtout, « L’Esprit de la lune ». Le conte éponyme, le plus long du recueil, met une femme victime de violence conjugale en face d’un dilemme existentiel alors qu’elle a un pied dans le monde des hommes et l’autre dans l’esprit de la lune. Comment composer avec cette dualité ?
Bref, le recueil de Jacques Pasquet offre une belle occasion aux jeunes lecteurs de s’initier autant au quotidien qu’à l’imaginaire du peuple inuit. [CJ]