À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Neuf ans après l’arrivée de Jouskilliant Green à Frulken, Anar Vranengal naît sur l’île de Vrend située dans la partie est de l’Archipel de Vrénalik. Très tôt, le sorcier Ivendra la remarque et lui offre de l’éduquer pour qu’elle le remplace un jour. À douze ans, Anar quitte donc son univers pour suivre le sorcier dans un périple autour de Vrénalik. Elle passe l’hiver suivant dans la Citadelle de Frulken et fait la connaissance d’Oumral, la sage-femme maintenant chef de l’île, ainsi que de Strénid, son fils adoptif et futur chef. D’abord intimidée par la discipline imposée par Oumral, Anar acquiert peu à peu le courage dont elle a besoin pour s’affirmer face à la femme et à Strénid.
De passage à Frulken, Ivendra lui parle de la malédiction d’Haztlén et de l’espérance nécessaire au redressement du peuple asven. Il lui raconte aussi l’histoire de Jouskilliant Green, son maître, à cause de qui l’ancien chef Candanad est mort fou. Anar apprend que Green, après avoir voulu participer au salut des Asven, a décidé dix-sept ans auparavant de s’isoler dans les caves de la Citadelle. Stimulée par ce récit, Anar entreprend d’essayer de contacter Green. Elle lui envoie des lettres par un puits conduisant aux caves et une correspondance s’établit entre eux. Green ayant manifesté le désir de remonter, Anar fera la connaissance de cet homme devenu légende. D’abord déçue par l’indifférence du personnage à son endroit, elle accepte son invitation à visiter avec lui les sous-sols de la Citadelle avant son départ. L’expérience l’éblouit et elle prend la décision de retourner un jour dans les caves.
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Commentaires
Une première version de ce roman, intitulé alors En hommage aux araignées, était parue en 1974 chez l’Actuelle. Il n’était nullement mentionné à cette époque que l’œuvre était destinée à un public de jeunes. En 1985, les avatars de l’édition ont amené Esther Rochon à proposer son roman aux responsables de la collection Jeunesse-Pop. L’œuvre a donc été republiée en 1986, avec des modifications qui la rendent mieux adaptée aux jeunes lecteurs et lectrices, sans toutefois la dénaturer.
Malgré ses immenses qualités, en effet, En hommage aux araignées manquait de suspense, de thrill, l’action étant toute intérieure. L’héroïne Anar Vranengal, en outre, apparaissait tard dans le récit et son intérêt pour Green prenait naissance vers le milieu du roman. L’histoire comportait trois parties et se déroulait en trois temps : arrivée et séjour de Jouskilliant Green à Frulken, puis réclusion de celui-ci dans les caves de la Citadelle ; intermède (passation des pouvoirs ; assassinat de Candanad par Oumral, naissance de Strénid) ; et enfin, aventure d’Anar Vranengal jusqu’à sa visite des caves en compagnie de Green. Dans la version restructurée, c’est l’aventure d’Anar qui constitue le récit central, les autres récits devenant des récits seconds présentés sous forme de retours en arrière. L’œuvre a acquis ainsi l’unité formelle et la progression dramatique qui lui faisaient défaut. Le rythme, aussi, s’en trouve accéléré. Si le roman demeure difficile pour les adolescent(e)s, plus profond et plus complexe que la majorité des textes québécois actuellement présentés aux jeunes, c’est tout de même à une version améliorée que nous avons affaire.
Les événements racontés se situent une quinzaine d’années avant L’Épuisement du soleil, l’œuvre qui avait mérité à son auteure le Grand Prix de la SFFQ 1986. L’Étranger sous la ville nous introduit plusieurs des personnages principaux du deuxième roman d’Esther Rochon : Ivendra Galana Galek, sorcier formé successivement par Skaad et Green ; Anar Vranengal, qui succédera plus tard à Ivendra ; Strénid, futur chef de Vrénalik ; et enfin Jouskilliant Green dont Taïm Sutherland trouvera le manuscrit Le Rêveur dans la Citadelle, manuscrit racontant l’origine de la malédiction qui a engourdi le peuple asven. L’œuvre fait aussi référence au Rêveur Shaskath qui déclencha la malédiction. Les deux romans se suivent donc et, jusqu’à un certain point, le premier est indispensable à l’entière compréhension du deuxième.
L’univers décrit est le même : celui du peuple asven, jadis fier, puissant et conquérant, aujourd’hui déclinant, amorphe et comme suspendu hors du temps. Les Asven sont ruinés, comme les villes qu’ils habitent, et promis à l’assimilation à cause de la venue régulière des étrangers du Sud. Ils attendent, complètement sourds aux paroles d’Ivendra : « Ne comprenez-vous pas que votre vie n'aura jamais que la dimension de vos espérances ? » (p. 33). Cette atmosphère de déclin et de froid est très bien rendue par la belle écriture douce d’Esther Rochon.
Dans les caves de la Citadelle, Green découvrira les racines de la civilisation asven. Les caves, murées depuis longtemps, renferment l’histoire de ce peuple : atroces souvenirs accumulés, architecture luxueuse, bibliothèques. Les caves représentent le cœur asven. En les murant, les Asven s’étaient coupés de leurs racines, posant ainsi eux-mêmes le geste qui les conduira à la dégénérescence.
Mais par-delà le sort réservé aux Asven, c’est à une réflexion sur la vie et la réalité que le roman nous invite. En passant dix-sept années seul sous la Citadelle, Jouskilliant Green effectue une plongée en lui-même. Green est un chercheur et un penseur. Après avoir fui la trépidante ville d’Irquiz, puis tourné le dos à la léthargie de Frulken, c’est en lui-même qu’il trouvera ce qu’il cherchait. Dans le dénuement des sous-sols humides et sombres, parmi les araignées aveugles (êtres des profondeurs, comme lui), il fera l’expérience initiatique de l’essence des choses. Il comprendra que « chaque geste compte ; chaque goutte d'eau a son utilité » (p. 110). Il verra enfin la réalité qui se dissimule derrière les apparences et le mouvement.
Jouskilliant Green ressemble aux sorciers asven. Comme eux, il observe. Son long isolement affinera cette attitude comtemplative et l’amènera à voir que tout est important, que tout se tient, que la moindre action a du poids dans la balance de la réalité. Anar Vranengal, une chercheuse elle aussi, finira par le comprendre à son tour. De ce point de vue, il est intéressant que le roman soit republié dans une collection pour la jeunesse, puisqu’il raconte l’évolution spirituelle d’une jeune fille. Quelques belles phrases forceront les plus farouches lecteur(trice)s à la réflexion, comme celles-ci : « Le monde où l'on vit est incertain […] la réalité est si complexe qu'elle nous apparaît floue… » (p. 20). [DC]
- Source : L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 122-124.
Références
- Anonyme, Protégez-vous, Jouets 87, p. 43.
- Demers, Dominique, Le Droit 15-11-1986, p. 60.
- Des Rivières-Pigeon, Catherine, Québec français 65, p. 98.
- Gervais, Jean-Philippe, Solaris 68, p. 36.
- Janelle, Claude, Solaris 54, p. 22-23.
- Laurin, Michel, Nos livres, mars 1987, p. 27.
- Martel, Réginald, La Presse, 21-12-1974, p. C 3.
- Pelletier, Jacques, Livres et Auteurs québécois 1974, p. 105-106.
- Sauvé, Élaine, Lurelu, vol. 9, n˚ 3, p. 14.
- Spehner, Norbert, Requiem 3, p. 12.