À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Mathias Padrol et son ami Jean-Paul Duvallon quittent leur famille afin de trouver fortune aux États-Unis. Mathias revient au pays après trois ans d’absence, pourvu d’un pécule intéressant, tandis que Jean-Paul a décidé de poursuivre son séjour jusqu’à ce qu’il ait amassé lui aussi une somme rondelette. Au cours d’une fête du foulage, Mathias, pressé de raconter ses aventures, révèle qu’il a été attaqué dans les Prairies par une bande d’Indiens et qu’il n’a plus revu Jean-Paul par la suite. Deux années se sont écoulées et Mathias s’apprête à épouser Joséphine, la sœur de son compagnon disparu. Alors que la future mariée va prononcer le « oui » solennel, un « non » lugubre retentit dans l’église. Joséphine et Mathias reconnaissent dans l’un des deux servants le spectre de Jean-Paul qui administre un soufflet à Mathias. Livide, celui-ci s’enfuit.
Commentaires
Pamphile LeMay compte certainement parmi les principaux auteurs fantastiques du XIXe siècle. Il a abordé différents thèmes dans plusieurs contes fantastiques qui sont devenus des classiques. À mon avis, « Fantôme » appartient à ce groupe même si ce texte n’est peut-être pas très connu.
L’ambiguïté du rôle joué par Mathias dans la mort de Jean-Paul donne une dimension supplémentaire au récit : Mathias a-t-il assassiné le frère de Joséphine pour s’approprier son argent ou éprouve-t-il seulement du remords pour l’avoir abandonné lors de l’attaque des Indiens ? On ne saurait trop le dire mais le thème du revenant a le mérite de soulever la question.
Il est évident que l’auteur dénonce l’appât du gain, la recherche de la fortune et la vanité que procure la richesse. Il ne brosse pas un portrait sympathique de Mathias en soulignant constamment sa cupidité et sa condescendance.
À travers le personnage de Mathias, Pamphile LeMay oppose deux systèmes de valeurs : d’une part, le modèle traditionnel incarné par le père de Joséphine qui reste fidèle aux vertus de la terre, d’autre part, le modèle de l’aventurier qui rejette les valeurs anciennes et préfigure la naissance d’une société fondée sur l’argent.
L’intérêt du récit réside aussi dans l’évocation de la vie quotidienne de l’époque. À cet égard, LeMay annonce la tradition du roman du terroir de la première moitié du XXe siècle et l’œuvre de Ringuet. Il évoque l’exode des Canadiens français vers les usines de textile de la Nouvelle-Angleterre et vers les mines d’or de la Californie. Comme pour contrer cette fascination exercée par la promesse de l’aisance matérielle, l’auteur fait valoir la liberté de l’habitant et les joies de l’entraide désintéressée en décrivant avec chaleur la corvée volontaire du foulage des étoffes de laine.
Dans « Fantôme », l’histoire du revenant apparaît donc secondaire en regard du contenu social qui affleure dans le conte. Si la valorisation du sacrement du mariage et l’image de l’Indien présenté comme un être féroce et sanguinaire épousent tout à fait le discours de l’époque, on oublie vite ces quelques rides qui marquent le texte pour n’en retenir que l’excellente description d’une société en pleine mutation et la modernité d’une écriture qui sait se passer de l’intermédiaire du conteur pour assumer pleinement la fonction narrative. Désormais, le conteur, c’est l’auteur lui-même, ce qui m’apparaît un signe de maturité important dans la prise de conscience par l’écrivain de son rôle social. [CJ]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 120-122.