À propos de cette édition

Éditeur
L'Opinion publique
Genre
Fantastique
Longueur
Feuilleton
Paru dans
L'Opinion publique, vol. III, n˚ 10
Pagination
118
Lieu
Montréal
Support
Papier
Date de parution
07 mars 1872

Résumé/Sommaire

Seul dans sa chambre, le narrateur évoque le souvenir de sa grand-mère. Il aimait l’entendre raconter l’histoire d’un grand-oncle, Augustin Fraser, qui avait vécu à Québec au milieu du XVIIIe siècle. Homme honnête et respecté malgré ses origines écossaises, il tenait commerce et avait pour principe de ne jamais faire crédit. Il s’était cependant laissé attendrir par Martial Dubé qui lui avait promis d’acquitter sa dette, quoi qu’il arrive. Un soir, alors qu’il inspecte son magasin avant de monter se coucher, Fraser aperçoit sur un ballot de marchandises le spectre de Martial qui lui annonce qu’il s’est noyé dans la baie de Sainte-Croix. Il lui indique comment il pourra récupérer sa créance à même ses biens personnels et disparaît. Quinze années passent au cours desquelles le commerçant devient prospère au point d’acheter un vaste domaine à Beaumont qu’il cultive et fait fructifier. Par un beau jour d’automne, le spectre de Martial lui apparaît de nouveau pour le prévenir qu’il mourra le jour même au coucher du soleil. Fraser réunit son monde et s’éteint doucement. Désormais, tous les descendants de Fraser savent que leur heure est venue quand ils voient le fantôme de la roche.

Commentaires

On a souvent reproché à Faucher de Saint-Maurice de s’inspirer un peu trop de ses lectures. C’est vrai que son œuvre rappelle celle de Joseph-Charles Taché tout en étant moins conservateur que ce dernier dans ses propos. Mais combien d’auteurs ont repris à leur façon une histoire de loup-garou ? Quand on analyse les thèmes de la littérature du XIXe siècle, on se rend compte qu’il n’est pas le seul à avoir emprunté à ses contemporains. De plus, il a un avantage marqué sur les autres : il a du style.

« Le Fantôme de la roche » reprend une anecdote que Louis-Auguste Olivier a développée dans « Le Débiteur fidèle ». Si le canevas est le même, Faucher de Saint-Maurice en donne tout de même une version différente et, à mon avis, plus pittoresque que celle de son prédécesseur. Ainsi, il a la bonne idée de faire de son personnage principal, Augustin Fraser, un ex-militaire écossais qui a le mérite de présenter le point de vue du conquérant anglais. Il donne ainsi à son récit une dimension historique totalement absente du conte d’Olivier.

Bien qu’il soit identifié à l’ennemi, Fraser possède des qualités morales que l’auteur sait reconnaître. Le début de la troisième partie du conte est éclairant à ce sujet alors que nous assistons à une discussion entre Fraser et un ancien adversaire d’armes devenu un ami. L’échange est cordial et l’Écossais dit à un moment donné : « Un Français n’est pas autre chose qu’une agglomération de préjugés, chevalier. »

Le respect que se témoignent les deux hommes provient en grande partie du fait qu’ils sont tous deux d’anciens soldats partageant un même idéal : combattre pour la patrie. L’auteur révèle ainsi l’admiration qu’il a toujours eue pour la carrière militaire et la fascination que la guerre exerce sur lui. Il faut se rappeler que Faucher de Saint-Maurice vouait un véritable culte à l’empereur Maximilien d’Autriche et qu’il a combattu à ses côtés au Mexique dans sa jeunesse, au cours des années 1864-1865.

Parmi les variantes qui distinguent le texte de Faucher de Saint-Maurice de celui d’Olivier, notons la portée de l’avertissement du noyé qui lui apparaît. Quinze ans après sa mort, Dubé annonce à Fraser qu’il mourra à la tombée du jour alors que le noyé d’Olivier prédit à son créancier qu’il mourra un an jour pour jour après lui. « Le Fantôme de la roche » semble postuler que Fraser a pu accumuler sa fortune en raison de son geste généreux à l’endroit de Dubé tandis que le bienfaiteur d’Olivier, Antoine Dumont, possédait déjà une riche propriété quand il a secouru le pauvre hère. En outre, le propos de Faucher de Saint-Maurice, même s’il met en évidence les hautes qualités chrétiennes de Fraser, s’écarte du ton moralisateur de celui de L.-A. Olivier qui insiste un peu lourdement sur la vertu de la charité.

Il faut reconnaître que dans la production du XIXe siècle, Faucher de Saint-Maurice compte parmi les écrivains les plus intéressants et que ses qualités de littérateur devraient valoir à son œuvre de ne pas tomber dans l’oubli.

Ses contes sont admirablement bien écrits et ils dévoilent une personnalité originale, dont les prises de position sont parfois difficilement défendables, certes, mais une personnalité entière aussi et sympathique. Il s’impose ainsi comme un témoin indispensable de son époque et, à ce titre, il gagne à être connu. La lecture de ses contes n’a rien d’un pensum, ce dont plusieurs de ses contemporains ne peuvent se glorifier. Pour le chercheur qui fréquente son œuvre, c’est une oasis bienvenue. [CJ]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 74-76.