À propos de cette édition

Éditeur
Berthiaume & Sabourin
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Le Monde illustré, vol. IX, n˚ 464
Pagination
558-559
Lieu
Montréal
Date de parution
25 mars 1893

Résumé/Sommaire

Un soir, trois amis – le narrateur, Arthur B. et Jean Friel – soupent ensemble à Québec. L’un d’eux, Jean Friel, jeune homme vigoureux qui avait fait la guerre de Sécession et combattu bravement, avoue qu’il craint depuis quelque temps plus que tout de « [s]’en aller seul sur le chemin de la Petite Rivière […] dans la vallée Saint-Charles ». Cela, parce qu’il y voit tous les soirs apparaître les mêmes spectres, des fantômes qui reproduisent exactement une affiche de théâtre de la pièce le Parricide, qu’il avait vue alors qu’il était enfant. Sur cette image – et dans ses visions récurrentes qu’il revoit quarante jours de suite –, il voit un vieillard ensanglanté et deux hommes qui le tuent. Il n’y comprend rien, se demandant « de quelle faute [il] porte la peine ». Pour ses amis, il semble que ce soit une mystérieuse « épreuve expiatrice que Dieu lui impos[e] ».

Or, une semaine plus tard, le narrateur reçoit une lettre d’Arthur B. lui apprenant la mort de Jean Friel, « trouvé sur la route de la Petite Rivière ». Un médecin attribue la mort à une cause naturelle, mais Arthur B. termine sa lettre (et le récit) en soulignant qu’eux savent « que le docteur […] s’est trompé », et il implore l’aide de Dieu.

Commentaires

Ce récit étrange porte la marque d’une certaine modernité, si l’on considère le contexte québécois de la fin du XIXe siècle. Le folklore et le merveilleux chrétiens sont complètement évacués, bien que les figures de la faute, de l’expiation et de Dieu soient évoquées. Il n’en reste pas moins que Dieu – ou quelque autre forme de personnage surnaturel – ne joue aucun rôle dans cette histoire.

Le phénomène étrange prend sa source dans l’enfance, alors que Jean Friel avait été influencé par une affiche théâtrale. Mais pourquoi cela vient-il le hanter ? Pourquoi l’image exacte de l’affiche lui apparaît-elle des années plus tard et quarante fois de suite ? Rien dans le récit ne permet de le découvrir. Le peu que Jean Friel révèle de son père ne permet pas de croire qu’il sera ou qu’il est parricide, car il n’y a aucun conflit entre lui et son père. De toute manière, ce n’est pas le père qui meurt à la fin, mais le fils lui-même, celui qui est l’objet de la vision étrange. Il y a donc une certaine incongruité dans la logique événementielle de ce récit, car il s’agirait plutôt d’« infanticide ». Mais cela tient peut-être à la forme brève, au fait que cette nouvelle mette justement en discours et en scène une information lacunaire, une forme d’ellipse de l’information, qui se trouve au cœur même de l’étrange et de la vie du personnage principal.

Dans cette nouvelle fantastique, nous aurions même une sorte d’actualisation des préoccupations grandissantes de cette époque pour la psychologie et ses troubles divers, dont ceux reliés à la perception. En ce sens, il est dommage que ce texte ne soit pas signé, car même s’il est imparfait, il est le signe qu’une forme moderne de fantasticité cherchait à naître alors au Québec. Est-ce à cause de sa nouveauté, de sa dérogation aux lois du canon fantastico-folklorique que son auteur n’a pas osé révéler son identité ? [MLo]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 207-208.