À propos de cette édition

Éditeur
VLB / Le Castor astral
Genre
Fantastique
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
115
Lieu
Montréal / Pantin
Année de parution
1987
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Par-delà la vie, par-devant la Mort qui n’a pas encore voulu quérir mon âme, je demeure une femme, enterrée depuis huit ans, et je pleure mon homme, pleure ma vie, ma voix s’envole comme un chant incantatoire, entonne l’amour perdu et la sécheresse venue, la joie disparue et la haine alanguie, mon corps décharné, que plus personne ne remarque sauf les chiens et les chats, déambule de par la ville, la nuit venue, observant, jaugeant, commentant la vie, et Jérémie, mon amour, ma vie.

Mais la Mort est revenue, et je la suis comme son ombre, par monts et par vaux, la regardant œuvrer à sa façon calme, sans haine ni gloire, et je ne sais pourquoi je suis condamnée à fouler ses traces, qui hantent hospices et hôpitaux, d’ici et d’ailleurs, et la maison, Jérémie, notre maison, avec toi, sur ton lit de mort, mais la Mort grogne, se détourne, et je t’envie, t’espère, attendant notre remariage par-delà cette vie que tu ne quittes pas.

Sans joie, camouflée sous ses jupes de tristesse et d’amours impossibles, la Mort fauche et fauche, pleure son désespoir, hurle sa fureur de ne pouvoir que tuer ce qu’elle aime, et moi je la regarde vivre sa peine éternelle, je voudrais la soulager, l’aimer comme elle mérite de l’être, la caresser comme une amante, un secours, une espérance.

Toujours je la suis et parfois la vue de ses os délicats jaillissant de sa robe noire, de ses petits pieds cliquetants m’enivre d’amour, alors je me fais chair à nouveau, la Mort redevient Jérémie à nos débuts, Jérémie qui jalonne ma vie, ma mort, ce cou que tu as coupé, Jérémie que j’aime toujours, mais je partage maintenant l’existence de la grande solitaire, et tente de lui apporter un réconfort, au nom de cette humanité qu’elle a toujours aimée, de cette nature qu’elle a toujours voulu posséder, afin qu’on l’aime, elle, la Mort, la Fée calcinée, la Cendreuse, pour ce qu’elle est.

Commentaires

Avant tout, j’attire votre attention sur le fait que ce résumé n’en est pas vraiment un, tout comme La Fée calcinée n’est pas à proprement parler un roman. D’ailleurs, sur la couverture, il est indiqué récit quoique, là encore… La Fée calcinée, c’est un chant incantatoire en l’honneur de la Mort, cette grande faucheuse méconnue, une cinquantaine d’odes hypnotiques d’une ampleur sans précédent qui, faut-il l’avouer, m’ont transporté par leur force d’impact. J’ai donc essayé de résumer les quatre grandes parties de ce texte en reprenant leurs points forts tout en reprenant bien maladroitement le ton de l’auteur.

Daniel Gagnon, on le sait, possède un talent d’écrivain qui sort de l’ordinaire. Tout d’abord, par son écriture, directe et incisive, lit-on en quatrième de couverture. Qualificatifs justifiés auxquels il faut ajouter un sens du rythme et de la sonance qui nous rappelle que la prose peut aussi être poétique, une concision qui place Gagnon dans le peloton des meilleurs nouvellistes du Québec – Le Péril amoureux, recueil paru chez VLB à la fin de 1986, nous en donne une belle preuve –, une précision qui rappelle le travail patient de l’orfèvre ou du joaillier et, enfin, ce qui ne gâte rien, une clarté et une simplicité qui, contrairement à ce que bien des gens pensent, ne se retrouvent que chez les grands écrivains.

Néanmoins, s’il ne possédait que cette écriture, Daniel Gagnon passerait toujours inaperçu. Cette belle écriture ne prend toute son ampleur que parce qu’elle supporte une thématique elle aussi hors du commun, une thématique qui se préoccupe de délicatesse, de tendresse, d’intimité, mais une thématique qui sait aussi faire preuve d’amoralité, d’insolence, de perversion, de violence.

La banalité est exclue de l’univers de Gagnon, tout comme la mièvrerie. Tranchant dans le vif, Gagnon éclaire ses propos avec des lumières au quartz, et les couleurs qu’il emploie n’ont rien à voir avec les pastels et les demi-teintes. Dans cet imaginaire qu’il véhicule de livre en livre depuis plus de quinze ans, les contrastes coupent comme des rasoirs, les blancs hurlent et les noirs absorbent tout.

Dans le livre qui nous préoccupe ici, nous donnons directement dans le fantastique. La Mort est vivante, c’est la Fée calcinée qui promène sa morgue et sa tristesse de par le monde, fauchant puisque telle est sa destinée. En imaginant une femme morte depuis plusieurs années qui attend en vain le départ de son âme vers l’autre monde, Gagnon se donne un outil splendide pour mettre à nu les peurs et les passions générées par cet état qui nous attend tous au bout de notre chemin terrestre. Mais qu’est-ce que la mort, qu’est-ce que ce non-être où notre lot n’est plus que l’oubli progressif des gens qui nous ont connus, des gens qui nous suivent ?

En lisant La Fée calcinée, je n’ai pu m’empêcher de penser que j’avais sous les yeux une curieuse version d’un Livre des Morts, d’un guide pour cet au-delà qui nous guette et, souvent, nous terrifie de notre vivant par son mystère insondable. Au fur et à mesure que j’ai avancé dans ma lecture, j’ai eu la sensation d’être initié à un rite, d’acquérir des connaissances mystérieuses. La Mort, petit à petit, a perdu son aura terrible, est devenue de plus en plus humaine et, bien que toujours inaccessible à la compréhension de ses pauvres sujets, elle a acquis lentement cette personnalité, ces traits de caractère qui me l’ont fait, sinon apprécier, quoiqu’en dise la quatrième de couverture, à tout le moins estimer à une plus juste valeur.

J’ai parlé plus haut d’hypnotisme, d’ampleur sans précédent. Le fait que Gagnon se soit enfin aventuré dans cette partie étrange de l’imaginaire que l’on nomme le fantastique joue un rôle certain dans mon appréciation. D’une part, parce que le fantastique permet justement d’exacerber au plus haut point les fantasmes les plus forts de l’âme humaine, mais aussi parce que, comme l’auteur nous le montre si bien, le fantastique, c’est encore, quoi qu’on en pense, l’outil par excellence pour essayer de communiquer l’incommunicable, pour atteindre ce petit noyau que nous avons tous au plus profond de nous et qui, sans qu’on s’en aperçoive dans notre civilisation de plus en plus robotisée, continue à nous guider face aux grands mystères de la vie.

Pour ma part, La Fée calcinée se distingue comme le meilleur texte fantastique de l’année. En terminant, et pour clore cette recension sur une note globale, je dirai que Daniel Gagnon n’est pas un écrivain extrémiste, mais le chantre des extrêmes, et c’est suffisant pour que j’aie hâte à la parution de ses prochaines œuvres. [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 90-92.

Références

  • Boivin, Aurélien, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 326-327.
  • Cloutier, Georges Henri, Solaris 79, p. 18-19.