À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Félicie Maltais est amoureuse du bel étranger que son père a engagé pour l’aider sur la ferme. Le jeune homme, Hervé Buissonneau, demande la main de Félicie mais Alfred Maltais le chasse, préférant donner sa fille à Méridé Dufour, un riche cultivateur célibataire de 52 ans. Une nuit, celui-ci meurt dans l’incendie de sa maison. Au début de l’été suivant, Hervé se présente devant Alfred Maltais avec un sac rempli de billets de banque et lui demande sa fille en mariage. Rassuré, le père de Félicie consent à ce qu’il l’épouse, mais pas avant Noël. Au cours des mois suivants, les cultivateurs des environs rapportent la présence d’une boule de feu qui se promène au-dessus des champs. Hervé se moque des frayeurs suscitées par ce phénomène, mais le jour de la fête des Morts, le bedeau trouve une importante somme d’argent sur l’autel et Hervé a disparu.
Commentaires
Dès le prologue, Odette Carrier se réclame des contes et légendes du XIXe siècle et précise que son récit se déroule à cette époque. Le thème de l’argent qui avilit les sentiments et le tableau pastoral rappellent d’ailleurs certains contes de Pamphile LeMay, notamment « Fantôme ». Carrier livre un portrait idyllique de la vie à la campagne et perpétue l’utopie agriculturiste alimentée par le clergé de l’époque. La preuve : Alfred Maltais est un cultivateur prospère malgré le fait qu’il élève une famille de douze enfants. Visiblement, l’auteure ne veut pas bousculer les valeurs traditionnelles et remettre en question le modèle rural de la société québécoise pourtant sérieusement ébranlé par la modernité au moment où paraît son texte.
À première vue, la nouvelle d’Odette Carrier ne semble pas fantastique et peut se résumer à un banal fait divers : un acte crapuleux pour lequel le criminel est finalement pris de remords. Mais il faut disposer du phénomène étrange qui se produit régulièrement, l’apparition d’une boule de feu qui se promène dans la campagne environnante après la tombée du jour.
C’est le curé qui fournit en partie l’explication : « Peut-être est-ce une âme du purgatoire qui avait promis de son vivant de faire un voyage en Terre Sainte et qui ne l’ai (sic) pas fait. » La boule de feu est sans doute la matérialisation visible de l’âme de Dufour condamnée à expier une faute – on le disait avare, de son vivant – avant d’entrer au paradis et qui convainc Hervé Buissonneau de rendre l’argent au curé pour que celui-ci chante des messes pour le repos de son âme. Et pour renforcer le symbolisme religieux, le retournement de situation – bien peu crédible – a lieu dans la nuit du 1er au 2 novembre, jour de la fête des Morts.
« Le Feu » semble taillé sur mesure pour les lecteurs de La Ferme, un mensuel qui s’adresse en très grande majorité aux cultivateurs ou, à tout le moins, aux habitants de la campagne. Cependant, l’argument fantastique apparaît bien secondaire ici, l’histoire d’amour de Félicie (et son dénouement malheureux) intéressant davantage Odette Carrier. Il faudra trouver ailleurs les signes de la modernité littéraire qui émergent durant cette décennie. [CJ]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 25-26.