À propos de cette édition

Éditeur
VLB
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
234
Lieu
Montréal
Année de parution
1997
ISBN
9782890056688
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Après la perte brutale de sa femme et de son fils, Joachim de Margerie se fait prêtre pour tenter de vaincre la chair et la vengeance et part pour la Nouvelle-France. Pendant plus de quinze ans, il sera un véritable prêtre-guerrier qui arpentera les immenses terres de l’ouest de l’Amérique, en ce temps-là encore française, frayant et guerroyant avec l’ensemble des races amérindiennes contre l’envahisseur anglais. Or, en 1759, l’Amérique est à feu et à sang. Les Anglais assiègent Québec et si la ville tombe, c’en sera fini de la paix d’Amérique. Fatigué d’une vie dure et désordonnée, Joachim, échoué à Détroit, est rejoint par le chanoine La Bruguière qui le somme de retrouver ses esprits et de revenir. En même temps, il lui amène le fils qu’il a eu avec une Amérindienne, morte d’amour pour lui après son départ.

Avec Alexis, Joachim ira à Yamachiche, où l’évêque veut le voir en fonction. Mais le village est déserté par l’ensemble des hommes qui sont à la guerre et les femmes brûlent d’amour pour ce prêtre si mâle. Repris par les démons de la chair, Joachim ne résistera guère, sachant que Dieu le guide, à preuve cette jument du diable qui apparaît souvent au moment les plus dramatiques de son existence.

Mais vient le temps où, après l’amour et devant la menace pressante de l’envahisseur, il doit repartir à la guerre une dernière fois, avec pour compagnons les quelques femmes du village. Or, cette fois-ci, les Anglais ont le meilleur et c’est la mort qui attend les derniers héros. Cependant, en franchissant les portes de l’au-delà, ils deviennent les gardiens du rêve et les fils de la révolte…

Commentaires

René Boulanger a écrit un roman intéressant à plus d’un point de vue. Roman historique avant tout, rappelant la présence incontournable du fait français en Amérique d’avant la Conquête, Les Feux de Yamachiche assoit son propos sur les alliances qu’avaient conclues Français et Amérindiens avant que les Anglais et leur machine impérialiste à fabriquer de l’argent et des guerres ne viennent bousiller le “nouvel ordre”.

Personnage central de cette fresque, Joachim représente le rêve américain d’alors dans toute sa splendeur : ayant laissé sur le vieux continent larmes et misères, le voici devenu, malgré la soutane qu’il porte fièrement sinon pieusement, un véritable “homme sauvage” dans le sens amérindien du terme, c’est-à-dire à la fois libéré des contraintes de la civilisation castratrice et parfaitement assujetti aux lois de la seule nature. Grisé par sa vie nouvelle, Joachim arpentera tel un dieu-vengeur les terres de l’ouest avant d’être rattrapé par ses attaches anciennes qui, sous la forme du chanoine La Bruguière mais aussi des implacables garnisons anglaises, viendront finalement briser à tout jamais son rêve et celui de tout un continent.

Cette identification entre de Margerie et cette Amérique d’avant la Conquête se met en place dès les premières pages lorsque Boulanger nous brosse le portrait d’une présence française qui, sous l’assaut des Anglais, est de plus en plus vacillante, et d’un Joachim amoindri, lui aussi vacillant et à la veille de trébucher sous le poids de ses vieux péchés. Tout au long du récit aux péripéties nombreuses et toujours plus grandes que nature, on fera le lien entre ses aventures et celles qui conduiront à la fin tragique de la Nouvelle-France : s’agit-il de ses amours avec une Amérindienne et de la présence de son rejeton, Alexis, que surgit le spectre des métis ; ses exploits guerriers, ceux des Canadiens face au surnombre des Anglais ; les traîtrises qu’il subit, celles qui conduiront à la chute de Québec ; son association avec le cheval noir du diable qui le poursuit, la trame historique qui, tel un rouleau compresseur, anéantira totalement le grand rêve américain, premier du nom et peut-être seul authentique…

Mais encore plus intéressant – pour l’amateur de littérature fantastique, du moins – demeure l’angle sur-naturel que l’auteur donne à sa fresque, incorporant sans détour plusieurs phénomènes décrits dans les légendes chères aux conteurs traditionnels canadiens-français. Cheval du diable, don de clairvoyance, pouvoir des statues, toutes ces intrusions fantastiques, craintes mais acceptées par l’ensemble des personnages, raccroche Les Feux de Yamachiche au courant moderne du réalisme magique tout en rappelant qu’à cette époque charnière, alors que s’affrontaient le dieu des Blancs et ceux des Amérindiens, la “vraie” réalité était effectivement “magique”, c’est-à-dire en proie aux manifestations divines de toutes sortes, bénéfiques ou punitives.

Quant à la fin, elle n’aurait été que tragique si elle n’avait décrit que la chute de Québec et la mort de tous les héros. Or, poussant son identification jusqu’au bout et le réalisme magique à sa conclusion inévitable, l’auteur fera traverser les portes de la mort à Joachim et à ses proches pour qu’ils assurent la survivance éternelle du grand rêve américain des Français d’Amérique et des Amérindiens : « Joachim prit le bras d’Anne, enceinte d’une nouvelle humanité, et descendit rejoindre le grand-père et Marian, suivi d’Alexis et de ses gens : les gardiens du rêve, les fils de la révolte. Car encore peuvent se dire ces mots dans la langue des Francs. » (p. 234)

Deuxième roman de René Boulanger – son premier, Rose Fenian, est paru chez le même éditeur en 1993 –, Les Feux de Yamachiche montre que la littérature francophone d’Amérique peut encore se souvenir de ses débuts et, tout en faisant fi des plaies subies au fil des siècles d’occupation, qu’elle peut générer, à l’aube du troisième millénaire, des œuvres assez fortes pour ranimer la flamme première et rappeler aux peuples amérindiens et francophones de ce continent qu’autrefois, leurs ancêtres avaient forgé – et vécu – un rêve grandiose. [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1997, Alire, p. 39-40.

Références

  • Boivin, Aurélien, Québec français 110, p. 18-19.
  • Martel, Réginald, La Presse, 21-12-1997, p. B 3.