À propos de cette édition

Résumé/Sommaire
Le narrateur, un écrivain, rêvasse devant une page blanche. Son imagination (ou le délire, si le titre constitue un indice) le promène dans une ville onirique où il ne lui arrive rien de précis, hormis d’errer d’une scène insolite à une autre : un taureau écorché dans la vitrine d’une boucherie, un serpent s’enroulant autour d’un œuf, des colonnes d’eau de mer jaillisant d’une bouche d’égout, deux hommes manipulant entre eux une masse gélatineuse qui devient une sphère cristalline, un bassin circulaire entouré de monolithes qui changent de couleur, l’apparition sublime d’une femme couverte de pétales ou de pierreries. À la fin, l’auteur est penché sur son papier, devant sa fenêtre ouverte sur la nuit.
Commentaires
Curieux délire que celui-là, tout méticuleux et clairement formulé. On y trouve des mesures parfois exactes (en pieds), « un cercle qui englobait le quart de la surface du bureau », d’autres précisions qui sont dépourvues de sens (« moins d’une fraction de seconde plus tard »). Les objets décrits sont souvent en mutation, passant d’une forme à l’autre, d’une couleur à l’autre, d’une consistance à une autre. Les couleurs citées ne sont pas toujours génériques : la narration énonce des nuances précises.
On pourrait se trouver ici devant le scénario d’un dessin animé psychédélique ; il y en avait une floraison à l’époque. On soupçonne volontiers que ces tableaux, et leur enchaînement, ont un sens pour l’auteur. La liste des images récurrentes est trop précise pour relever du hasard : les motifs de cercles et de roues, de serpents et de spirales, d’œufs, d’épis de blé, et surtout de croix, ont sûrement une valeur symbolique pour Bibeau. Une ou deux fois, le récit nous rappelle la page blanche et l’écrivain, comme si on risquait d’avoir oublié la prémisse.
Curieusement, aucun sentiment n’est véhiculé par ce récit : ni angoisse ni répulsion, pas plus une idée de quête qu’une idée de fuite. Même le sentiment d’étrangeté qui devrait émaner de ce parcours n’est pas au rendez-vous, à cause d’une prose trop énumérative, livrée sur un ton égal. Le souffle du rêve, ou celui plus brûlant du délire, ne traverse pas ces phrases trop construites.
Si fièvre il y a, elle est effectivement bien blanche. [DS]