À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Été 1957 : Aurélie Samuel, une veuve de soixante-sept ans, est au chalet de sa famille. Lors d’une promenade en groupe, Aurélie subit un traumatisme crânien qui la plonge dans le coma. Elle en ressort presque deux semaines plus tard, apparemment intacte. Mais dès lors, elle se met à rajeunir. Ses cheveux foncissent, ses rides s’atténuent, sa santé s’améliore. Chaque année qui passe la rajeunit d’un an.
Son état physique contribue à l’éloigner de sa famille, dont les membres ne sont pas en mesure d’accepter la situation. Son fils Philippe finira même par se suicider juste avant que l’âge biologique de sa mère rejoigne le sien, incapable de supporter cette idée. Seuls ses petits-enfants garderont certains liens avec elle tandis qu’Aurélie se réinvente une vie.
En 1991, la peur de ce qui l’attend finit par triompher de sa discrétion. Aurélie est en effet convaincue que son rajeunissement finira par la rendre adolescente, puis poupon et enfin fœtus. Elle se confie à un professeur, Carl Véga, lequel croit à son histoire et la présente à tous ses étudiants lors d’une conférence. Cela pousse le recteur, un ennemi personnel, à congédier Véga d’abord, puis à intenter une poursuite de deux millions contre Véga et Aurélie pour atteinte à la réputation de l’université. Heureusement, la défense gagnera finalement le procès, grâce à la sincérité d’Aurélie et aux témoignages des quelques scientifiques qui étudient son cas.
Le rajeunissement d’Aurélie se poursuit et s’accélère même ; le docteur Rodrigue Pasquale, un gériatre américain, réussira in extremis à rétablir les choses. Aurélie, qui a recommencé à vieillir normalement, est fêtée comme la miraculée de l’an 2000, et devient riche en donnant des conférences. Elle épouse Assam Goa, un journaliste qui s’était attaché à son histoire dès les débuts, et lui donnera trois enfants. Le roman se clôt sur la baignade annuelle de la famille Samuel dans la rivière. Nous sommes à l’été 2019 ; Aurélie a trente-sept ans.
Commentaires
Curieuse coïncidence : c’est le deuxième roman de SFFQ de 1994 à mettre en scène un personnage qui rajeunit, après Ce matin-là… de Normand Bergeron. Ce dernier ouvrage étant assommant, je me permettais d’espérer mieux pour celui-ci. Je dois avouer que je ne l’ai pas beaucoup plus aimé. Là où Bergeron ne tentait pas d’expliquer pourquoi son protagoniste rajeunissait, Lamontagne nous offre des explications ; mais celles-ci ne tiennent pas debout, et s’inscrivent dans une approche de la fiction qui repose énormément sur l’arbitraire.
En fait, le mot qui s’applique le mieux à ce livre, c’est « saugrenu ». Saugrenus les retournements de l’intrigue et particulièrement les raisonnements que font les personnages pour justifier leurs actions. Au mieux, ce sont des sophismes, mais souvent ils ne tiennent tout simplement pas debout. Saugrenus les noms des personnages : Biddledum, Véga, Chapeau, les enfants Micron et Optica (nés vers 2015, mais quand même !) ; la palme revient toutefois au reporter d’origine indienne Assam Goa : c’est comme un Québécois qui s’appellerait fièrement Saguenay Montérégie… Saugrenus aussi les détails, car la narration s’empêtre dans une foule de considérations sans objet, concernant le plus souvent des personnages secondaires ou même tertiaires. Utilisés avec modération, de tels détails ajoutent de la couleur à l’histoire et contribuent à donner plus de texture à un livre ; ici, on verse dans l’excès, sinon dans la manie. C’est certes un bon moyen de remplir des pages, mais ce n’était vraiment pas nécessaire.
De « saugrenu », il faut passer à « à peu près ». Le terme s’applique aux explications scientifiques du vieillissement, qui m’ont fait grincer des dents tellement elles témoignent de l’incompréhension de l’auteure dans le domaine de la biologie. Les cellules d’Aurélie rajeunissent car au lieu de s’éroder en périphérie, elles font preuve d’un « mouvement régressif » et qu’au lieu de se diviser, elles fusionnent ! Il serait inutile de s’attarder à démonter cette logique fumeuse à deux doigts du charabia, mais il faut quand même noter que le livre confond allègrement la croissance avec le vieillissement. C’est d’ailleurs inscrit dans son titre même. L’expression « flèche du temps » – contrairement à ce qu’affirme l’auteure – vient du monde de la physique et non pas de la biologie. Le rajeunissement d’Aurélie vers l’enfance n’est justement pas un changement biologique explicable par un dérèglement hormonal, c’est une régression temporelle. Ici, à force d’explications qui se contredisent entre elles quand elles disent quelque chose de compréhensible, on quitte le domaine de la SF pour tomber dans le n’importe quoi.
Mais « à peu près » s’applique aussi au style de l’auteure, qui se laisse bien trop souvent emporter par les mots et se retrouve ainsi à employer des belles phrases ou des expressions toutes faites qui ne disent pas vraiment ce qu’elle pense exprimer. Finalement, tout sonne faux : les répliques des personnages, leurs actions, les développements sociaux évoqués dans le dernier chapitre. En lisant ce livre, je passais mon temps à me dire : ce n’est pas comme ça que le monde fonctionne.
Soyons généreux : reconnaissons qu’on pourrait considérer La Flèche du temps comme une fable ; après tout, bien des textes valables de SFF ont cette orientation. Pour ma part, habitué que je suis à la SF de tradition américaine dont les auteurs se documentent sérieusement et font des efforts pour donner de la crédibilité à leurs hypothèses, je ne suis vraiment pas impressionné. Ce ne sont pas les réflexions sans profondeur d’Aurélie ou Assam qui m’émerveilleront par leur sagesse, ni les mouvements désordonnés d’une intrigue que l’auteure tire dans la direction qui lui plaît, sans se préoccuper de la vraisemblance.
Dans de tels romans, qui ont la critique sociale aussi facile que superficielle, on se complaît à décrire les gouvernements comme impuissants et les politiciens comme des imbéciles, ce qui permet commodément de laisser toute l’initiative aux individus, lesquels n’ont jamais vraiment à rendre de comptes, sinon dans des procès qui établissent supposément une vérité indubitable, comme si les tribunaux détenaient un pouvoir ontologique que nul ne songerait à contredire. Une personne qui rajeunirait vraiment ne serait-elle pas la cible de tentatives d’assassinat de la part d’extrémistes religieux ? Ne se retrouverait-elle pas enlevée par l’armée américaine, étudiée contre son gré par un aréopage de biologistes sans scrupule ? Ben non : apparemment, quand elle le veut, elle peut prendre sa retraite sur une petite île où tout le monde s’entend pour lui foutre la paix.
C’est finalement sur cette île que le roman fonctionne : au début, dans un environnement un peu intemporel, en nous présentant les divers membres de la famille, le livre semblait vouloir nous raconter une saga familiale en teintes pastel, fourmillant de détails savoureux. Le retour à cette île, à la fin, est chargé d’émotions, d’émotions vraies, pour une rare fois. Le désir à la racine de ce récit, plutôt que celui de rajeunir, serait donc celui de revenir sur les lieux de son passé, de pouvoir ne jamais les quitter. J’y suis moi-même fort sensible. Aussi j’aurais cent fois plus apprécié une œuvre de fantastique empreinte de nostalgie au lieu de cette pseudo-science-fiction naïve et inconséquente. [YM]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 96-98.
Références
- Tremblay, Mireille, Québec français 98, p. 16.