À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
En 2139, les humains ont déserté la Terre pour vivre sur des satellites artificiels. Un couple de terroristes, Urbain et Yossi, sont appréhendés et transférés sur Galadriel 2 où ils sont confinés dans une immense serre tropicale sous dôme. Pendant trois mois, ils vivent là en pleine nature, ayant tout à portée de la main : nourriture, confort, loisirs. La vie rêvée, quoi. Après ce délai, le directeur de la prison leur demande de choisir entre le retour à leur mode de vie antérieur et le paradis de la serre au cours des dix prochaines années. Mais quel est l’intérêt de l’État de proposer un tel marché ?
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Luc Labbé redéfinit dans « La Fleur noire » le concept de prison ou de colonie pénitentiaire. Quel criminel ne souhaiterait pas en effet de purger sa peine dans de telles conditions ? Le couple de terroristes se voit offrir de vivre dans une cage dorée qui ressemble au paradis terrestre. Bien sûr, l’État corrompt l’idéal révolutionnaire d’Urbain et Yossi en leur proposant de vivre dans la nature, dans un environnement vierge qui représente l’idéal pour lequel ils combattent. Le traitement est doublement pervers car en plus d’anesthésier leur révolte, il les leurre sur leurs propres perceptions.
Avant d’être confirmé dans la conclusion de la nouvelle, le simulacre est annoncé par la fresque murale qui orne le bureau du directeur de la prison Galadriel 2. En bas de la peinture, on peut lire la sentence suivante : « La prison, fleur noire de la société civilisée, de la solution finale à la solution idéale ». Elle résume en un raccourci saisissant l’évolution des moyens d’élimination des dissidents et des indésirables, de la barbarie sans masque (l’Holocauste) à la mise hors d’état de nuire raffinée, éthiquement et humainement plus acceptable.
Le couple de détenus est évidemment surpris des conditions matérielles de son incarcération et il ne soupçonne pas qu’il est maintenu dans un état végétatif. Urbain et Yossi entrevoient la réalité le temps d’un flash quand ils absorbent des petites baies bleues qui provoquent chez eux des hallucinations suivies d’une perte de conscience sans que cela éveille leurs soupçons. On pense ici aux univers dystopiques d’April qui multiplient les simulacres. Toutefois, outre l’écriture plus sage et classique de Labbé, ce qui différencie les deux auteurs, c’est que les personnages apriliens sont conscients de leur état d’aliénés et tentent de s’en libérer.
La nouvelle de Labbé est constituée en grande partie d’une lettre écrite par Yossi à l’intention d’une madame D’Auteuil, sans doute une collègue, sur laquelle l’auteur ne fournit aucune information. C’est ainsi qu’on apprend les conditions de détention du couple malgré le fait qu’il ne puisse communiquer avec l’extérieur. C’est la petite faille qui lézarde la construction de la nouvelle.
Par ailleurs, la conclusion introduit un point de vue extérieur – celui du gardien de cette prison mentale – qui permet au lecteur d’accéder aux coulisses du rêve/cauchemar climatisé des deux détenus. Elle a surtout le grand mérite de remettre en perspective, de façon ironique, la liberté des bons citoyens, des valeureux travailleurs – Urbain et Yossi sont des chômeurs, à la base, avant d’être des terroristes qui veulent changer la société – dont le sort, en définitive, n’est pas plus souhaitable que celui des prisonniers. Le gardien venu relever son collègue en a pour dix ans à accomplir une tâche ennuyante avant d’accéder à la retraite. Au fond, le sort des deux terroristes n’est-il pas plus enviable nous demande l’auteur.
« La Fleur noire » est un texte fort sympathique. Souhaitons que Luc Labbé, qui a renoué avec l’écriture avec la publication en 2008 d’un roman réaliste, s’investisse à nouveau dans l’univers de la SF. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 108-109.