À propos de cette édition

Éditeur
Logiques
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
208
Lieu
Montréal
Année de parution
1995
Support
—> Un exemplaire papier serait le bienvenu…

Résumé/Sommaire

Montréal, 2099. Jules Laramée est un Frincekanok bien ordinaire. Il fait son boulot de gardien d’un canard, qui consiste essentiellement, une heure par semaine, à tourner autour de ce qui reste du lac aux Castors sur le mont Royal en présentant le bon profil pour que les touristes asiatiques défilant en masse puissent le prendre en photo. En dehors de ce travail, Jules est à la retraite. Dans ce Montréal du futur, sous dôme, la totalité de la société québécoise est reproduite à petite échelle pour le tourisme. C’est que, depuis la rébellion de 2061, les Québécois ont été soit assimilés (on les appelle les Ass), soit réduits à un rôle de figuration dans une vaste mise en scène de leur propre culture.

Prisonniers du dôme, ils sont nourris, logés et choyés en échange de leur collaboration pour le tourisme. Leur vie entière peut être vue, ils sont en permanence soumis à de la musique et leur vie intime se résume à la visite de « déléguées à l’harmonie sexuelle », bien sûr d’origine asiatique, comme presque tous les travailleurs qui vivent autour d’eux. Ce monde artificiel cache une réalité bien différente : ce qu’il reste de la population du Québec est entièrement contrôlé et surveillé. La liberté est pour les survivants francophones une illusion aussi difficile à imaginer que le fait de vivre au grand air. Le français ayant été rayé de la carte mondiale au profit de l’anglais, langue dominante, puissante et broyant tout sur son passage, ils ne sont plus qu’une poignée à le parler, avant tout pour des raisons folkloriques.

Le jour où il apprend que le canard sur lequel il veille depuis des années est en fait un canard mécanique, Jules Laramée se révolte. Dès le lendemain, en compagnie de quelques compagnons pensionnaires du même immeuble que lui, il se dirige vers le métro, lieu où se rassembleraient des gens désirant comme eux le changement. Là, ils découvriront une conspiration ayant pour but de soulever les Frincekanoks (les Québécois). Ils y participent activement, mais cette rébellion échoue. Les Frincekanoks, depuis trop longtemps habitués au confort de l’indifférence, ont perdu leur capacité de révolte et se retournent contre ceux qui leur proposaient la liberté.

Jules et ses amis sont faits prisonniers et condamnés à un lavage de cerveau. Cependant, ceux qui sont censés leur faire subir ce traitement sont en fait des agents infiltrés. Leurs anges gardiens font en sorte qu’ils soient libérés près de Sorel, loin de Montréal, et placés directement sur la route du Saguenay, là où se situent les dernières poches de résistance francophone.

Commentaires

Loin d’avoir la force des grandes dystopies comme 1984 ou Fahrenheit 451, Les Frincekanoks de Claude Daigneault en explore néanmoins l’idée, mais en l’appliquant à la réalité québécoise. Après une rébellion contre les forces fédérales, le peuple du Québec a été réduit à une fonction touristique, folklorisé, vidé de sa substance. Appelés Frincekanoks (déformation fort probable de French Canadians), ils sont contrôlés, surveillés, utilisés, étouffés dans le but de servir une industrie touristique entièrement basée sur leur anachronisme culturel. On sent le paternalisme à plein nez dans le comportement des Anglo-Canadiens qui sont en contact avec eux ou qui sont en charge d’eux : de Jonathan Simcoe qui s’est abaissé à porter un implant neuronal pour pouvoir communiquer avec eux en français à Per Habbey, un Ass qui les écrase de sa supériorité d’assimilé et, donc, d’homme lié au pouvoir tout en étant mielleux et obséquieux avec ses supérieurs.

Ainsi donc, les Frincekanoks sont réduits à des rôles de figurants dans leur propre ville anciennement puissante, Montréal, maintenant sous dôme, à la température constamment contrôlée, à la lumière et à l’air prédéterminées par une entité extérieure. Pour construire de luxueux hôtels et appartements pour les touristes venant de partout dans le monde (principalement des Asiatiques), on a réduit le lac aux Castors à la taille d’une piscine pour enfants où barbote un unique canard survivant (qui s’avérera d’ailleurs mécanique). Les arbres sont en plastique recyclé et des employés changent les branches selon les différentes saisons. Idem pour les vêtements et autres articles du quotidien qui sont tous jetables et recyclables. Tous ces éléments donnent une consistance unique, une véracité à cet univers extrêmement bien construit. Car s’il n’a pas le souffle et la puissance des grandes dystopies, Les Frincekanoks se distingue par une inventivité et une imagination débridée qui, tout en prenant des formes loufoques, servent merveilleusement bien son propos.

Autre point : la langue française est ici allègrement massacrée, mais avec un art consommé. Les anglophones qui la parlent le font en pensant s’exprimer comme Bernard Pivot, mais ne réussissent qu’à bien prononcer un mot sur trois et qu’à s’exprimer avec une syntaxe horriblement déficiente. On apprend d’ailleurs que les autres langues nationales ont été entièrement décimées au profit de l’anglais. Ici, le fait qu’il existe une minorité de gens parlant français est présenté comme un archaïsme ou presque. Les Frincekanoks sont utilisés, ils le savent, mais ne se rendent pas compte à quel point ils sont instrumentalisés et que chaque détail leur appartenant en propre est détourné pour servir le profit de leurs maîtres.

Les personnages de cette épopée sont à l’image du reste du roman : inventifs. Par contre, la plupart d’entre eux manquent de profondeur. Ils ne sont pas plats, bien au contraire, mais on dirait qu’on a limité l’exploration de leur personnalité, de leurs buts et de leurs origines. Ce sont tous des cinquantenaires ou presque et ils n’ont rien à dire sur l’avenir ou le passé ? Leur existence est à ce point vide qu’ils ne pensent à rien d’autre qu’à l’immédiat de leur vie ? Surprenant, tout de même. Ce qui explique d’autant plus mal leur fuite commune, leur rupture avec leur ancienne vie sur un coup de tête. Des petits éléments sont donnés, évidemment, mais on reste avec une impression de surfait, d’événements plaqués sur le reste de l’histoire. C’est pourquoi la finale où, avec les exilés du métro, ils tentent de susciter une révolution n’a pas la force qu’elle aurait pu avoir. C’est bien, mais l’effet aurait été décuplé si les personnages prenant part à ce soulèvement avaient eu plus de personnalité. Je pense à Neige, entre autres, dont on comprend bien peu les motivations. En outre, le fait que la mère de Jules Laramée ait été une importante figure de la rébellion de 2061 aurait pu être diablement mieux exploité.

Au final, c’est par sa loufoquerie que ce roman atteint le mieux son but, car on y repense facilement en souriant. Il avait tous les ingrédients d’un grand roman, mais la sauce n’a que très imparfaitement pris. Ce qui en fait tout de même une bonne lecture, mais sans ce supplément qui fait les grands livres. [MC]

  • Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 62-64.

Références

  • Girard, Marie-Claude, Le Devoir, 04/05-03-1995, p. D 5.