À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un Prince, angoissé à l’idée que le soleil couchant puisse ne pas reparaître le lendemain, s’embarque seul sur un frêle esquif pour naviguer jusque derrière l’horizon dans le but de voir à quoi l’astre solaire s’occupe pendant la nuit. Les jours, les semaines passent ; les habitants du royaume, d’abord par habitude puis selon un rituel, vont attendre le retour du Prince sur un surplomb face à la mer. Avec les générations puis les siècles, un culte se crée, voire une religion, autour du personnage et de sa quête. Quand le Prince revient pour se trouver une compagne parmi les filles de son royaume, il choisit Isabeau. Malgré qu’il soit devenu un genre d’excroissance ectoplasmique du soleil emballé dans une enveloppe humaine, ils vivent une passion intense. Bientôt cependant, elle refuse de le suivre dans leurs escapades nocturnes et se laisse mourir de douleur. Le Prince abandonne son royaume à jamais, mais la vie continue tandis que son culte se perpétue.
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Commentaires
Avec « La Geste du Prince », Pierre Chatillon s’essaie au genre d’histoire à forte teneur sociale, voire communautaire, qu’une Ursula Le Guin proposait dans Orsinian Tales notamment, sans toutefois le regard pénétrant de cette dernière sur les phénomènes de société. Le récit évoque la genèse et l’évolution d’un culte, d’un mythe, de rituels, de tout un appareillage religieux animé par la foi et l’aspiration à l’absolu. Mais pour lui rendre justice, il vaut mieux s’attarder à la dimension mythique de « La Geste… », à la quête du Prince, à sa transformation, à son retour plutôt qu’à la profondeur de l’analyse sociologique.
Il vaut mieux aussi s’attarder à l’écriture : ce long texte – j’hésite à l’appeler nouvelle – occupe la place la plus importante dans un recueil de poésie publié dans une collection de poésie. C’est dire que Chatillon y exploite des techniques plus proprement poétiques, comme le leitmotiv. Des segments ponctuent en effet le récit tels des refrains : la reprise fréquente d’un passage de quelques paragraphes transpose par l’écriture le rituel qu’observent les habitants du royaume quand ils attendent le retour du Prince. La technique fonctionne puisque la narration prend alors une ampleur dramatique, voire épique.
Au total cependant, le texte résiste aux catégories et au classement. Avec Pierre Chatillon, les frontières des genres deviennent des chemins de traverse très fréquentés où se côtoient le merveilleux et la poésie, le fantastique et l’allégorie. Le poète donne dans l’épopée, sans y mettre toute son énergie, il raconte une histoire mais s’autorise toutes les licences qu’une narration serrée supporte mal, ce qui donne un récit où le fantastique carbure à la figure de style et à l’image poétique plutôt qu’aux ressources de l’intrigue. [RG]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 45-46.