À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Elle évoque le temps qu’elle a passé dans le Là, incarnée dans son double humain, en attendant de réintégrer son simple. Elle y a connu Pierre qui lui a enseigné bien des choses. Puis, quand elle le revoit dans son état de simple, celui-ci ne la reconnaît pas. Les anciens doubles ne se souviennent pas généralement du Là et de ses graves bleues.
Commentaires
Quelle étrange expérience de lecture que cette nouvelle de Danièle Caron ! L’impression d’effleurer un univers mystérieux que la poésie de l’écriture rend encore plus insaisissable. Et pourtant, le charme opère même si on ne réussit pas à appréhender cet univers qui se présente comme un lieu de passage, un état de transition.
Il semble que le Là soit une métaphore de l’existence humaine sur la terre, cette période plus ou moins longue au cours de laquelle l’âme ou la conscience se dédouble, se prolonge dans une enveloppe corporelle. Et les graves bleues dans cette expérience métaphysique qui apparaît délestée de toute pesanteur ? Il y a quelque chose que je ne saisis pas, mais intuitivement, je me dis que la clé réside dans la musique. Il y a trop d’allusions aux sons pour que ce soit l’effet du hasard : « cette musique secrète, presque douce à la peau », « les ondes récurrentes ou les sons volatiles », « fausses harmoniques », « … des sons opaques enveloppaient tous les sens juste avant la traversée ».
Il y a des textes qui résistent à tout angle d’attaque. « Les Graves bleues » en est un. Les éléments constitutifs du discours narratif ne sont ici d’aucun secours. Le personnage ? Une notion caduque. Le thème ? Trop polysémique pour ne pas varier d’un lecteur à l’autre. L’écriture ? Poétique, c’est dire que même si elle présente un tant soit peu une prise à la réflexion, elle favorise davantage la dérive de la pensée, le glissement vers une rêverie stimulée par des associations d’images inhabituelles. À cet égard, « Les Graves bleues » rappelle certaines nouvelles d’Annick Perrot-Bishop.
En somme, n’est-ce pas le but ultime du texte de fiction que de résister à toute tentative d’analyse, rendant futile le rôle du critique qui s’interpose entre le texte et le lecteur, obligeant celui-ci à y aller voir par lui-même ? N’est-ce pas la victoire suprême de tout texte de création ?
Je crois avoir fait comprendre que personne ne devrait se sentir dispensé de lire cette nouvelle. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 42-43.