À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Âgée de seize ans et demi, Béatrice Perrin – Betty, pour les intimes –, fille d’une célèbre actrice sur le déclin, se fait inscrire dans un vieux pensionnat isolé par son beau-père. Dès son arrivée à Oldridge, Betty trouve une note l’avisant de la présence de rats dans les dortoirs. L’avertissement, semblable à une blague d’initiation, se met à l’inquiéter quand d’étranges grignotements commencent effectivement à se faire entendre entre les murs, aussitôt les pensionnaires couchées. L’une des rares filles amicales, Anne Polanyi, tombe subitement malade et Betty est publiquement accusée d’avoir déclenché la terrible phobie qui affecte sa santé. Pour avoir une chance de s’intégrer au groupe, Betty n’a d’autre choix que de saisir ce qui se passe afin d’être, aux yeux de toutes, innocentée.
Les événements se bousculent, alors qu’un rat de laboratoire attaque un suppléant lors d’une séance de dissection et que le chien du concierge est retrouvé mort, rongé presque jusqu’à la moelle. Entre-temps, Betty s’est liée d’amitié avec Serge, un aide-cuisinier, qui soupçonne quelques hommes d’affaires de vouloir discréditer l’administration du collège pour reconvertir le manoir en un lucratif complexe hôtelier. Un vil stratagème entraînera le trio d’enquêteurs formé de Betty, Serge et Caroline – amoureuse de ce dernier et rivale plus ou moins avouée de Betty – dans les catacombes sous l’établissement, où ils seront confinés et confrontés à un grave incendie qu’ils devront fuir, tout comme les rats. En bout de ligne, la peur ressentie par les étudiantes et le personnel d’Oldridge, dans sa forme la plus primaire, aurait constitué une forme d’appel irrésistible aux rats, et d’après ce que le lecteur en saisit, l’angoisse persistante à la suite d’un tel épisode donnera lieu à une série de métamorphoses individuelles terrifiantes.
Commentaires
L’une des premières qualités notées à la lecture de Grignotements est l’habileté avec laquelle les ambiances y sont créées. L’auteur maîtrise aussi bien l’art de faire grimper la tension que celui de la désamorcer. Et dans le genre de textes qui nous intéresse, fantastique bien sûr, mais de manière encore plus pointue, dans le récit d’épouvante, ce n’est pas rien. Nous pensons notamment à la scène où le personnage principal entend les sons nocturnes la première fois : tout traduit ou appuie la frayeur de Betty tandis que sa lampe de chevet est éteinte ; puis à peine un instant plus tard, dès la lumière rallumée, le soulagement de la jeune fille est si perceptible qu’il est immédiatement partagé par le lecteur. Pour contribuer à la création de ces ambiances, l’auteur campe efficacement ses décors. Ses descriptions raviront d’ailleurs le lecteur très visuel, qui s’imaginera sans difficulté l’allure du manoir et de ses souterrains.
Plusieurs fils de l’intrigue s’entrecroisent durant une bonne partie du récit : le mystère entourant la présence des rats, l’obscure maladie dont Anne est atteinte, en plus d’un chaste triangle amoureux entre l’aide-cuisinier et Caroline, la troisième voisine de chambre des filles, puis Betty. Mentionnons, à ce titre, notre appréciation quant au dosage judicieux du thème amoureux par rapport aux autres aspects de l’histoire, qui permet sans doute de garder intéressés les lecteurs autant que les lectrices.
Signalons tout de même, pour se faire légèrement plus critique, l’usage de quelques clichés du genre horreur ou récit d’épouvante, dont les lieux choisis pour mettre en scène l’action, soit un vieux manoir sis dans une contrée perdue – au nord de l’Ontario – et les catacombes du domaine, qui sont des environnements assez classiques, mais encore efficaces.
Ensuite, l’une des scènes, vers la finale, est assez saisissante et, selon la tolérance du lecteur, sera interprétée comme un atout ou un défaut à l’histoire : l’un des magouilleurs de l’intrigue, le concierge Raphaël, se fait lui-même dévorer par les rats sous les yeux ahuris des trois jeunes enquêteurs. Cela contribuera cependant à justifier l’ampleur du traumatisme subi par Betty et ses conséquences désastreuses sur la jeune fille, finalement atteinte par la maladie qui avait terrassé et transformé son amie Anne de manière monstrueuse.
Enfin, un dernier élément frappant concerne la représentation des personnages adultes du récit, assez typés et franchement peu dignes de confiance. Certainement pour créer une connivence avec le public cible, soit un lecteur de 15 ou 16 ans, l’auteur ne s’est pas gêné pour montrer qu’il n’y avait aucun adulte fiable vers qui les pensionnaires paniquées auraient pu se tourner. La surveillante du dortoir, Ellen Andersen, est présentée comme une alcoolique dépressive ; le directeur de l’établissement se soucie davantage du sort et des revenus tirés de l’école que du bien-être de ses élèves. La mère de Betty, que la jeune fille surnomme « mèches bleues », tente pathétiquement de conserver son apparence juvénile et refuse d’assumer son rôle de mère ; le nouveau beau-père de Betty est quant à lui un riche homme d’affaires – surnommé « viande à chats », car c’est là sa spécialité – très peu intéressé à vivre en sa compagnie, ce qui est d’ailleurs le cas de la plupart des jeunes filles inscrites à Oldridge. Une adulte s’inquiète au moins un peu de leur santé, c’est madame Rivest, l’infirmière, mais elle est impuissante à soigner Anne, et il en va de même pour le docteur Mayerski, dont l’apport est plutôt encyclopédique : il tombe sur un livre expliquant les métamorphoses que subirait parfois le corps humain lorsqu’il est soumis à un stress intense.
Globalement, selon nous, Grignotements de Brian Eaglenor constitue une œuvre fantastique pour la jeunesse réussie. Plusieurs décisions esthétiques éclairées déjà abordées y contribuent, auxquelles s’ajoute notamment une insertion harmonieuse, vers la fin du roman, du conte « Le Joueur de flûte de Hamelin » à l’intérieur de l’intrigue, comme l’une des clés requises pour comprendre l’histoire. « Beaucoup pleuraient. Toutes avaient peur. Des ondes de frayeur enveloppaient Oldridge comme un immense air de flûte dont se délectaient les rats. » (p. 166)
Finalement, l’effet d’un intéressant choix proposé au lecteur entre une finale réconfortante ou la « véritable » suite des événements lui reste en mémoire au moment de refermer le livre. Alors que dans une œuvre destinée à un plus jeune public, on aurait sans doute veillé à rétablir en bout de piste un univers sécurisant, cette œuvre assume complètement son registre d’épouvante, en faisant baisser durant quelques lignes à peine la tension, pour révoquer définitivement, avec ses dernières phrases, le sentiment de sécurité du lecteur. [MEL]
- Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 86-88.
Références
- Dupuis, Simon, Solaris 116, p. 40.
- Meynard, Yves, Lurelu, vol. 18, n˚ 2, p. 19.