À propos de cette édition

Éditeur
L'A Venir
Genre
Hybride
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
135
Lieu
Bromptonville
Année de parution
1998
Support
Papier

Commentaires

On ne peut nier que ce recueil comporte des défauts, des maladresses et des omissions. C’est compréhensible puisque Morin, quoiqu’il ait déjà beaucoup écrit et beaucoup publié, peut tout de même être considéré comme étant au début de sa carrière littéraire. Néanmoins, il s’agit là d’un recueil attachant dont les récits s’abreuvent au terroir québécois à la fois par les expressions utilisées et les sujets, sans être pour autant des pastiches de contes folkloriques. J’irais même jusqu’à affirmer que dans une décennie ou deux, ce recueil pourrait être considéré comme un classique mineur du fantastique québécois. Car, à la décharge de Morin, il faut dire que s’il ne parvient pas à s’élever jusqu’aux sommets atteints par des grands comme Ray ou Owen, ses nouvelles, par contre, ne sont pas plus mauvaises que certains écrits de moindre intérêt provenant de la plume de ces mêmes auteurs, ce qui est déjà un bon point en faveur de L’Héritage de Roberval.

« Le Sieur du Lac et l’Œil de Dieu » ouvre le recueil mais jure avec le reste, car il s’agit davantage de fantasy que de fantastique. L’atmosphère particulière présente dans les autres textes n’est pas au rendez-vous. Cette nouvelle constitue la cinquième partie d’un roman à épisodes paru dans le défunt fanzine Temps Tôt. Intéressante expérience qui rappelle celle du « Défi de l’Au-delà » par Lovecraft, Howard et d’autres, il y a bien longtemps, en ces temps mythiques du pulp d’avant-guerre. Il aurait peut-être été préférable que « L’Œil de Dieu » ne soit pas retiré de son contexte. Non qu’il s’agisse d’une mauvaise nouvelle, bien au contraire, elle est correcte bien que fortement inspirée du film Warlock, et il est rare de lire du fantastique épique se déroulant dans le passé historique de la Belle Province. Cependant, dans le cadre de L’Héritage de Roberval, ce texte est supposé être le fondement du recueil, expliquant notamment pourquoi des manifestations surnaturelles se produisent au xxe siècle à la suite des événements extraordinaires qui se sont déroulés en 1543 et dans lesquels fut impliqué Jean de Roberval.

Malheureusement, cette explication est plutôt bidon, car les personnages de cette nouvelle ne mettent jamais les pieds sur le lieu même de ce qui deviendra Roberval, y compris l’explorateur lui-même qui a donné son nom à la ville. Celui-ci cherchait un passage jusqu’au Saguenay mais ne l’a jamais trouvé. Cette remarque s’applique également au chien Kerberos. Si ce dernier avait effectivement foulé le territoire de la future municipalité et qu’il y avait invoqué des forces surnaturelles dont il serait resté quelque chose après son départ, on comprendrait alors pourquoi on retrouve son effigie dans « Une vilaine toux ». Le lecteur se dirait : « Ha ! ha ! c’est la puissance maléfique de Kerberos qui est derrière tout ça ! » Malheureusement, dans l’état actuel de la narration, on ne saisit pas très bien le rapport entre Kerberos et le reste. Je veux bien admettre que le fantastique n’a pas à se montrer aussi rationaliste et logique que d’autres genres – le roman policier, par exemple –, mais il y a quand même un minimum de vraisemblance à respecter. Morin aurait dû poursuivre son récit et pousser l’aventure jusqu’au Saguenay, et tant pis pour la réalité historique !

« Le Raccourci de M. Legault » emprunte une idée à une nouvelle de Stephen King dans son recueil Skeleton Crew, celle d’un homme qui connaît des raccourcis tellement extraordinaires qu’il en vient à pouvoir se rendre d’un endroit à l’autre en un temps qui n’a rien à voir avec la réalité. À cela, Morin ajoute le personnage éponyme à propos duquel il laisse entendre qu’il est peut-être le diable. Ce qu’on peut reprocher le plus à cette nouvelle, c’est de n’être ni effrayante, ni inquiétante, seulement étrange. Tante Louise devient la petite copine de M. Legault et s’enfuit avec lui sans la permission de son père. On ne sent nulle part dans le récit que les âmes (ou même les corps) de Louise et des membres de sa famille sont en péril. Alors, pourquoi faire intervenir le démon ? M. Legault pourrait n’être rien d’autre qu’un bonhomme bizarre qui a peut-être des pouvoirs, ou tout simplement un excentrique qui provoque ragots et racontars autour de lui. On découvrira dans la dernière histoire du recueil qu’il est bel et bien un personnage surnaturel, mais en ce qui concerne ce texte-ci, c’est loin d’être évident.

« Une vilaine toux » est un peu plus angoissant. Quelle idée terrifiante que celle d’une toux interminable qui finit par vous entraîner dans la mort ! Effrayante aussi la manière dont Louis St-Pierre rend l’âme, seul dans son lit, cessant peu à peu de respirer pendant que les autres membres de la famille regardent la télé dont ils ont monté le volume pour ne plus l’entendre râler. Il y a cependant une certaine exagération dans le fait que tante Jeannine jette un pareil sort à son propre neveu uniquement parce qu’il a touché à une figurine fixée au tableau de bord de son auto, provoquant semble-t-il un accident. La colère de la tante paraît excessive. Peut-être est-ce justement l’intention de Morin : horrifier le lecteur avec l’histoire d’une punition disproportionnée par rapport à la faute. Ce serait plus crédible s’il y avait des raisons de croire que la tante est carrément méchante ou qu’elle subit l’influence d’une force maléfique qui l’oblige à la cruauté. On peut naturellement le supposer mais en fait, aucun élément concret ne vient appuyer cette intuition.

De même, l’épisode de l’expédition de Jacques Bouchard et de Louis St-Pierre dans le but de s’emparer de l’effigie du Cerbère tombe à plat parce que Morin n’en dit et n’en montre pas assez. Je crois qu’il voulait faire dans le subtil mais il a exagéré, avec pour résultat que le lecteur reste dans le noir. On sait qu’il s’est passé quelque chose, mais quoi ? J’adhère au principe qui veut qu’en fantastique, il ne faut pas faire apparaître le monstre afin de maintenir le doute et le malaise. Ce qui est deviné est plus affolant que ce qui est vu, à moins de disposer d’un excellent monstre comme le « gritche » de Dan Simmons. Cependant, pour que ce fantastique subtil fonctionne, encore faut-il voir au moins le bout de la queue de la créature. Pour reprendre une expression anglaise, l’auteur a le tort de ne jamais laisser tomber le deuxième soulier. C’est d’ailleurs le cas de plusieurs de ces nouvelles, le lecteur restant souvent sur sa faim.

Par contre, avec « Le Troisième détour du Gîte », ça commence à devenir plus intéressant. Disons-le franchement, ce texte, de même que « À la recherche de Marianne », ne laisse pas d’impression durable. Le propos est mince, l’amateur de fantastique en a vu d’autres et des meilleurs, mais ce qui compte ici, c’est la sensibilité et le réalisme avec lesquels le narrateur évoque sa relation avec son grand-père. C’est ce qui fait tout l’intérêt du texte. Avant même que l’auteur ne le précise dans la postface, on devine que le récit est en partie autobiographique.

On retrouve un peu les mêmes qualités humaines dans « À la recherche de Marianne » mais l’ensemble est moins convaincant. Encore une fois, considérant le fait qu’il ne se passe pas grand-chose, on ne sait pas trop où l’auteur veut en venir. Ce n’est rien d’autre que la sempiternelle histoire d’auto-stoppeuse qui est en fait une revenante. S’il y avait une morale à tirer de ces deux nouvelles, ce serait celle d’une espèce de foi optimiste en Dieu et dans les miracles. Néanmoins, quiconque a lu « Les Corbeaux immortels rêvent-ils de contrôler le monde ? » doutera que Morin partage ce genre de croyance.

« Les Copains du docteur Tarantino » et « Le Train de 12 h 50 » sont les deux nouvelles les plus réussies du recueil. Hugues Morin affirme dans sa postface que c’est le film Pulp Fiction qui lui a inspiré la première nouvelle. En réalité, la structure tarabiscotée de ce récit et la narration constamment interrompue par des retours en arrière font davantage penser à Citizen Kane. Le titre se rapporte à la chanson de Vangelis/Roussos, Friends of Mr. Cairo. Une autre histoire de fantôme de type très classique, du genre que ne désavouerait pas M. R. James. Typiquement, la nouvelle semble ne déboucher sur rien, sauf que la psychologie des personnages et leurs relations interpersonnelles sont fascinantes. On pourrait extraire l’élément surnaturel de cette histoire et cela donnerait un bon récit psychologique. Il y a peut-être là un filon que Morin devrait exploiter. La structure de la narration est originale et déstabilisante. Cela change de la fiction linéaire habituelle.

« Le Train de 12 h 50 » provoque le malaise sans que l’on sache exactement pourquoi. Peut-être parce que l’auteur a trop bien reproduit l’atmosphère particulière à l’enfance où, par manque d’expérience ou en l’absence de préjugés concernant la réalité, tout paraît possible et, par conséquent, magique ou terrifiant. C’est cette dernière possibilité qui l’emporte ici. Pour être plus précis, c’est le lecteur qui éprouve de l’inquiétude, car le jeune héros est tout à fait heureux de discuter toute la nuit avec ses nouveaux « amis » qui sont en fait des morceaux de fer aplatis sur la voie ferrée et qui ont pris l’aspect d’animaux. Le lecteur avisé, évidemment, devine le piège surnaturel.

Par ailleurs, on pourrait débattre longtemps quant à savoir si la finale est positive ou non. Pas du point de vue de la mère du petit garçon, ça c’est sûr, mais le garçonnet lui-même peut-il être considéré comme si mal loti ? Impossible de le dire. Il faudrait déterminer si le conducteur du train, M. Legault lui-même, est ou non le diable et, si c’est le cas, quel genre de diable est-il dans l’esprit de l’auteur. Mais dans ce texte comme dans les autres, il est difficile de deviner quoi que ce soit des intentions réelles de Morin.

Le livre se termine par des informations concernant chacune des nouvelles, suivies d’une bibliographie détaillée. Un lecteur comme moi apprécie ces notes qui jettent parfois un éclairage nouveau sur les œuvres lues. Le droit à la préface et à la postface ne devrait pas être réservé uniquement aux auteurs à succès.

Malgré les réserves exprimées, ce recueil constitue une intéressante tentative même si elle est un peu ratée. Ce n’est pas une lecture inutile pour autant. Hugues Morin a potentiellement tout ce qu’il faut pour devenir un excellent fantastiqueur. Par conséquent, il est dommage qu’il ait annoncé qu’il n’écrirait plus. Il risque de tuer dans l’œuf un talent en pleine expansion. [DJ]

  • Source : L'ASFFQ 1998, Alire, p. 119-123.

Références