À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Viateur Randort, fonctionnaire méticuleux, rangé et apparemment obsédé par l’heure, est accueilli en héros au bureau où il travaille. C’est que, la veille, plus par accident que par bravoure, il a mis hors d’état de nuire un voleur en train de commettre un hold-up à la caisse d’épargne.
Mais voilà que, bien qu’il s’appelle Randort, Viateur est affligé d’insomnie. Des tintements lancinants qu’il attribue à une goutte fuyant du robinet, puis la sonnerie stridente du téléphone, le rendent fou dans la noirceur de son logement. Horloges, aiguilles de montres, chiffres et figures spectrales se ruent sur lui dans un tintamarre affolant.
Au matin, assis au bord de son lit avec sa montre en main, il est à compter désormais au nombre des aliénés.
Commentaires
Une interprétation simpliste (hélas la seule que je puisse formuler) voudrait que certaines personnes (typiquement des fonctionnaires ou des employés de banque) seraient esclaves de leurs habitudes routinières au point où toute dérogation inattendue – un acte de bravoure involontaire, par exemple – pourrait les faire basculer dans la démence. L’omission d’un réflexe aussi élémentaire que d’allumer une lampe indique que Viateur a été victime de cauchemars plutôt que d’insomnie ; mauvais rêves qui l’auraient mené au seuil de la folie.
La nouvelle est bâtie très simplement : deux pages et demie pour évoquer l’existence sans histoires de Viateur (et l’unique incident de sa vie), puis quatre pages et demie de cauchemar, déstructuré comme il se doit. Ni dans la première ni dans la seconde partie l’auteur ne s’est-il soucié de cohérence : par exemple, dans les heures suivant son « exploit », le héros a déjà été décoré par le maire ; autre exemple, son chez-soi est explicitement un « appartement » (p. 26) et pourtant il comporte un sous-sol.
La plume de M. Lepage a généré quelques belles images. Parlant de l’acte d’héroïsme, par exemple : « La nouvelle de l’exploit se répandait de bouche à oreille […] passant en trombe au bureau du docteur puis chez le rembourreur qui, dans un excès de zèle, la remplit de paille et de vent. » En revanche, certaines incongruités et de curieux choix lexicaux, apparemment jamais relevés par un regard attentif (« usurpateur » pour désigner le bandit, ou « méticuleuses précisions d’ordre » pour qualifier le rituel de rangement de Randort), font penser que la direction littéraire aux Écrits manquait un peu de rigueur, du moins cette année-là. [DS]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 119-120.