À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Nous sommes en 2020, dans un Québec indépendant depuis le début du siècle. Créons Furtadeau – la mère, Clara, tenait au s – quarante-cinq ans, reflète bien son époque tout en affichant un parcours atypique. Né de père inconnu dans la commune estrienne « La Planante heureuse », il est transplanté, vers l’âge de deux ans, en Californie, où Clara rencontre le juif Moshe, puis bientôt en Israël, qu’il habitera jusqu’à la mort de sa mère dans un attentat terroriste en 2001. Il décide alors de s’installer à Montréal et occupe aujourd’hui l’emploi enviable d’astrophysicien au prestigieux Institut québécois de recherche Hubert-Reeves (IQRHR).
Créons pratique une discipline japonaise, le kototama, basée sur trois sons fondamentaux, et jouit, à l’instar de sa mère et de sa demi-sœur Aube, de dons psychiques contre lesquels son esprit scientifique se rebiffe. Or par un beau 31 décembre, il se lie avec Tom Chissanno, pédiatre et psychiatre pour enfants à l’Hôpital Sainte-Justine, et ce soir-là guérit, grâce à ses facultés peu ordinaires, une fillette catatonique jusqu’alors restée insensible à toute forme de traitement. Le truculent Chissanno, fils métis d’un diplomate mozambicain et d’une Française, est lui-même sympathique à la parapsychologie. Cette amitié nouvelle amènera Créons à se réconcilier avec les deux parts de lui-même.
Mais notre héros ne fera pas que jouer au docteur officieux dans les coulisses de Sainte-Justine. Il publicisera ses dons, qui consistent in fine en la capacité d’entrer en contact avec l’au-delà, et l’humanité s’en trouvera bouleversée.
Commentaires
Le XXIe siècle a à peine franchi l’âge adulte que nous en sommes déjà à la cinquième génération de maisons intelligentes dotées entre autres d’un « valet teinturier », une machine permettant de donner aux vêtements la teinte de son humeur du jour. Et pour peu que les parents consentent à en passer par les « comités régionaux de la procréation assistée », les enfants ont le privilège de naître « presque parfaits ». Ce décor campé au début de L’Homme étoile, quatrième roman de la journaliste Monique de Gramont, laisse d’abord croire à une utopie typique, mais c’est plutôt du côté du fantastique qu’il nous entraîne.
L’opposition entre raison logique et perceptions extrasensorielles ainsi que manifestations surnaturelles constitue le ressort principal de l’intrigue. Les dons occultes d’Aube ont trait à la précognition (connaissance portant sur un événement qui n’est pas encore arrivé) et à la rétrocognition (connaissance de faits révolus impossibles à connaître selon les voies ordinaires). Cette porosité psychique lui permet certains contacts avec sa mère Clara. Les dons de Créons, grâce auxquels il réalise des guérisons « miraculeuses » à Sainte-Justine, sont liés à la capacité d’exploiter d’une façon particulière le pouvoir de la musique et des sons.
D’Israël, où elle est restée, Aube envoie des lettres à caractère prémonitoire. La justesse des prédictions ébranle les certitudes scientifiques du frère. Ironie du sort, il en vient lui-même à solliciter les « intuitions » d’Aube lorsque le réel lui échappe. C’est par exemple le cas en ce qui concerne la mystérieuse et fantasque Garance, dont ce solitaire est sans doute amoureux. Garance au passé torturé, qui dissimule l’existence d’un jeune fils devenu autistique après un traumatisme à la fois physique et psychologique… Créons trouvera ici à mettre ses dons à profit. Il n’est pas sûr, toutefois, que cet élément, un peu trop programmé, serve le récit. Les reparties toujours logorrhéiques du pédiatre Chissanno, au comique forcé, voire lourd, finissent également par lasser.
Et pendant ce temps, les morts reviennent d’entre les morts. À moins qu’ils n’aient jamais quitté les vivants. Clara communique avec son fils. Dès lors, la face du monde est appelée à changer car Créons entend partager son « secret ». Ses invites, par petites annonces internationales interposées, à interroger l’au-delà reçoivent quelques réponses discrètes. Puis leur nombre va croissant. Les médias s’emparent du phénomène. Afin de confondre les sceptiques, Clara se manifeste publiquement. Fait des révélations chocs sur des meurtres irrésolus, des affaires de corruption impliquant des personnalités connues… Rocambolesque à souhait ! Créons, qui eût pu couler des jours heureux, s’est quant à lui réservé une fin dans quelque « au-delà »…
Tout cela est bel et bon, mais on pourra se demander quels étaient les intentions et le projet de l’auteure. La lecture au premier degré est exclue d’emblée. On opte pour les motifs d’ordre réflexif, voire philosophique : l’illustration, par la voie de la fiction, que la science ne fait pas foi de tout. Et qu’existent objectivement, sans pour autant qu’ils soient surnaturels, d’autres modes de perception, de définition, d’explication de la réalité, et d’intervention sur elle ?
Quelque chose cloche dans L’Homme étoile : un manque de ludisme ou d’ambiguïté ? une louable volonté de réflexion sur les limites du cartésianisme, mais de l’ordre du déjà-vu ?
Il faut aussi noter que sur le plan strictement éditorial, le travail a été quelque peu bâclé. On voit ainsi des fautes grossières, telles que le verbe astiquer (« Cela l’astique ») au lieu d’asticoter, « Sa soif de solitude et de silence ont atteint un seuil critique » (au lieu de a atteint), « que vous m’ayiez » (ayez), et d’autres. Malaise. [FB]
- Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 70-72.