À propos de cette édition

Éditeur
Boréal
Genre
Fantastique
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
120
Lieu
Montréal
Année de parution
1995
ISBN
2890527271
Support
Papier
Illustration

Résumé/Sommaire

Un jeune garçon se fait reconduire à l’école par son père. À une intersection, le fils sort de la voiture et court dans le brouillard. Il y rencontre une vieille dame, collectionneuse d’insectes. La sorcière, comme la perçoit le jeune garçon, le ramène chez elle pour appeler ses parents. Le garçon, apparemment ennuyé, essaie de s’enfuir mais se retrouve plutôt dans une pièce remplie d’abeilles. Il parvient tout de même à sortir de la maison et se fait happer par une voiture, alors qu’il est hypnotisé par les phares du véhicule, semblables à deux soleils.

Première Guerre mondiale. Un caporal doit transmettre une missive au poste de commandement. Sur le chemin, il est pris dans un barrage d’artillerie et se réfugie dans un trou d’obus, où se terre déjà un autre soldat. Ils socialisent un instant, discutent d’une montre en or que le Caporal a trouvée sur un cadavre. Les obus éclatent autour d’eux, et du gaz moutarde est dispersé. Le Caporal parvient à s’extirper du trou et à enfiler son masque, laissant son compatriote asphyxié derrière lui. Il parvient tant bien que mal à se rendre au poste de commandement.

Un jeune adulte, rendu aveugle par la réflexion du soleil sur la neige, et son père, qui veille sur lui, cherchent de l’or. Le fils s’enivre au whisky, puis au mezcal, dont il exige de manger le ver. L’alcool lui rend partiellement la vue, et il déclenche un incendie en tentant de toucher à la lampe à l’huile. Son père le tire hors du brasier et meurt en tentant de récupérer une partie de leurs biens. Le fils, sans protection dans la nuit hivernale, succombe à l’hypothermie.

Jéthro le Zélote, un faux aveugle survivant grâce à la mendicité dans les rues de Jérusalem, est déterminé à devenir le Messie. Il rencontre Jésus qui, devant une foule, opère le « miracle » de lui rendre la vue. Il décide de joindre le rang de ses disciples, sous le nom de Judas Iscariote.

Akhenaton est pris d’un malaise juste avant une éclipse solaire et demeure inconscient jusqu’au moment fatidique. Pendant la cérémonie qui devrait assurer le retour de l’astre dans le ciel, le pharaon trébuche et s’immole accidentellement par le feu.

Manfred von Richthofen, le « baron rouge », a été sévèrement blessé, plusieurs mois plus tôt, et se sent vidé de tout courage depuis. Il continue néanmoins à prendre les airs mais périt au cours d’un combat aérien.

Cape Kennedy. Lors d’une simulation de décollage à bord d’une navette spatiale, des astronautes s’enferment dans une capsule pour en tester l’autonomie. Après quelques heures, un feu s’y déclare, condamnant les occupants à une lente asphyxie.

Le Führer est tapi dans son bunker avec son épouse. Tous les deux croquent dans des capsules de cyanure, et Hitler se retrouve sur un champ de bataille, où il voit des personnes et des objets associés à d’autres espaces-temps : un avion écrasé, un enfant couvert de piqûres d’abeilles, un homme en train de brûler vif… Une voix lui demande pourquoi il persiste, ce à quoi Hitler répond qu’il est l’Élu. La voix l’informe qu’il est trop tard, que le véritable Élu est déjà arrivé à destination.

Le cadavre du jeune garçon tué par l’auto de son père sert de nourriture aux vers. L’un d’entre eux mange une partie du cerveau et semble assimiler, du même coup, un concept (celui de Dieu ? ou du soleil ?). Il s’extirpe alors du cercueil, creuse jusqu’à la surface, où il peut sentir les rayons de l’astre sur lui. Un oiseau l’attrape de son bec et s’envole.

Commentaires

Icare d’Emmanuel Aquin se présente d’entrée de jeu comme un roman (tel qu’indiqué sur la couverture). De fait, l’œuvre possède plusieurs caractéristiques du genre, mais il s’agit en réalité d’une construction hybride, dont l’esthétique se situe à mi-chemin entre le romanesque et le recueil de nouvelles. Il n’est pas question ici d’un « fix-up », où un recueil de nouvelles est déguisé en roman ; ce serait plutôt l’inverse, c’est-à-dire un roman déguisé en recueil de nouvelles.

On ne peut pas vraiment parler de chapitres pour désigner les parties qui composent Icare : la plupart du temps, chaque section n’a qu’un rapport structurel ou thématique (nous reviendrons sur ce point) aux précédentes et aux suivantes. Cela dit, le concept de nouvelle n’est pas non plus parfaitement approprié ; les sections n’ont pas de titre, et si elles sont majoritairement indépendantes au niveau du récit (des personnages reviennent dans plusieurs sections, cependant), elles sont très liées par rapport à la forme, puisque chaque section se termine sur une phrase en suspens, phrase que la section suivante rattrape au vol, dans un contexte différent, créant de ce fait des effets de lecture parfois saisissants. Cela permet, du même coup, de lier les sections entre elles, tout en faisant ressortir leurs disparités.

À l’instar d’un recueil de nouvelles, Icare construit sa cohérence à travers un tissage de rappels thématiques. Parmi ces thèmes récurrents, on retrouve, sans surprise eu égard au titre, ceux de l’ascension et de l’inévitable chute, littérale ou non. La figure du soleil est omniprésente et est très souvent associée à la fascination et à la mort.

Le roman s’ouvre sur un court prologue, où on suit, de façon très imagée, le parcours d’un spermatozoïde jusqu’à la fécondation d’un ovule (qui est désigné comme étant le soleil). Ici, même si l’image de l’astre est associée au processus de la création de la vie, c’est la mort du spermatozoïde comme individu qui est mise de l’avant. Cette association entre le soleil et la mort sera presque systématique tout au long de l’œuvre.

Vient ensuite la section qui servira de parenthèse ouvrante à toute la structure de l’œuvre, la dernière section y marquant un retour. Encore une fois au cours de cet épisode mettant en scène le jeune garçon, la figure du soleil est associée à la mort. De plus, la figure du ver est présentée pour la première fois, et reviendra dans l’œuvre à quelques reprises.

La section suivante se situe pendant la Première Guerre mondiale, dans les tranchées, à la tombée du jour. Le retournement, au cours duquel on apprend que le Caporal est en fait Adolf Hitler, est plutôt insipide dans le contexte de cette section, mais fonctionne très bien dans le cadre du roman, puisque le personnage d’Hitler revient à une autre reprise dans l’œuvre. Toute la scène où les deux soldats sont dans le trou d’obus est particulièrement bien rendue dans tout ce que la situation a d’inquiétante et d’oppressante.

Le récit change ensuite radicalement de décor et présente le destin tragique de deux chercheurs d’or. Ici encore, le soleil et sa lumière sont des éléments destructeurs, que ce soit de façon littérale, avec les yeux brûlés du fils, ou de manière métaphorique, avec la lampe à l’huile, qui est perçue comme un astre flamboyant. L’auteur tisse aussi davantage la figure du ver, de l’être refermé sur lui-même, en vue d’une métamorphose, d’abord en mentionnant l’insecte dans la bouteille du mezcal, mais aussi, de manière plus subtile, avec la condition du fils, enfermé dans un cocon d’obscurité et qui est consumé par ses désirs les plus primaires.

Dans la section suivante, Aquin reprend un retournement qu’il avait déjà utilisé, en révélant qu’un de ses personnages est, en fait, une figure connue. Cela permet efficacement de mettre en relief la psychologie de Judas Iscariote, par intertextualité. Cependant, le procédé a tout de même quelque chose de naïf et met l’accent sur la chute de la section plutôt que sur sa construction narrative générale. Tout de même, même sans cette chute, le personnage de Jéthro est intéressant, autant qu’il est méprisable. Il est prêt à tout, jusqu’à sacrifier ses proches, pour atteindre son objectif.

Le récit transporte ensuite le lecteur dans la cour du pharaon Akhenaton. La figure est intéressante : le représentant terrestre du dieu du soleil devenant lui-même brièvement un être de feu, même si cela ne peut que le conduire à la mort.

Le roman revient, avec la section suivante, au cadre de la Première Guerre mondiale, en focalisant sur Manfred von Richthofen, qui avait déjà été mentionné vers le début de l’œuvre, dans le segment portant sur le jeune Hitler. Le jeu chronologique est très habile en ce que le baron était déjà mort depuis quelques mois lors de cette section ; de le voir ici vivre ses derniers moments donne ainsi plus de charge émotive et de puissance narrative à ce passage. Cette section reprend plusieurs thèmes et figures déjà exploités auparavant : d’abord l’époque, puis le soleil et la lumière comme symboles funestes. La mort, cependant, est abordée de façon légèrement différente : Manfred se décrit comme quelqu’un qui n’est déjà plus vivant, qui a déjà perdu ce qui faisait de lui un être entier. Ainsi, sa défaite lors du combat aérien ne tient pas tant du drame que de quelque chose d’inéluctable, dans l’ordre des choses.

La section suivante fait un autre bond dans le temps et dans l’espace, à Cape Kennedy, à l’heure de l’exploration spatiale. Ce passage ressort un peu du lot : même si on est dans le registre du vol et des cieux, tout se passe sur la terre ferme, et la figure du soleil se fait plus discrète. Elle se présente comme une lueur qu’un personnage aperçoit dans un hublot, et qui est en fait le reflet de la flamme de l’incendie. Fait intéressant, la capsule est désignée comme étant un cocon, ce qui tisse un lien vers l’image récurrente du ver et de sa métamorphose.

Après l’avant-dernière section qui ramène le personnage d’Hitler, à la toute fin de la Deuxième Guerre mondiale, le roman se termine sur un retour au début, avec la voiture du père qui heurte de plein fouet le jeune garçon en fugue, le tuant sur le coup. À peu près toutes les figures récurrentes de l’œuvre sont ici réutilisées : le ver, l’obsession, la fascination, le soleil, la mort. On mentionne même, au passage, que le père du garçon relâche des spermatozoïdes dans le ventre de sa femme, ce qui crée un lien avec la toute première section du roman.

Icare est une œuvre difficile à classer dans un genre précis. Ses multiples trames narratives sont toutes plutôt réalistes (ou, à la rigueur, oniriques), mais les liens qui les unissent confèrent au roman une certaine dimension fantastique, par le leitmotiv de la figure de l’Élu. C’est la répétition dans l’association des figures du soleil et de la mort qui confère à l’œuvre une ambiance particulière, un traitement de la réalité quelque peu décalé.

Toute la force du roman tient, à mon avis, dans ces jeux littéraires à même la structure de l’enchevêtrement des récits. Sur le plan de l’écriture elle-même, l’auteur est cependant moins habile. Le style est en général surchargé, les images métaphoriques abondent, ce qui alourdit inutilement le texte. Il s’agit principalement d’un problème de dosage ; l’auteur est extrêmement doué pour dépeindre des scènes fortes, pour y introduire des images qui résonnent longtemps dans l’esprit du lecteur. Mais il abuse de ce talent et en vient rapidement à noyer ses récits d’images poétiques qui, en raison de leur nombre, ne font pas toujours mouche. [GV]

  • Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 13-16.

Références

 

  • Martel, Réginald, La Presse, 15-10-1995, p. B 3.
  • Ouellet, François, Nuit blanche 63, p. 44.
  • Vigneault, Benny, Québec français 102, p. 17.