À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Thaï Deng, ville imaginaire pour les uns, rêve désenchanté pour les autres. Géographiquement : à la jonction de la Thaïlande, du Laos et du Cambodge. L'an 2000 approche ou est déjà passé et les guerres font toujours rage dans le Sud-Est asiatique. Les assaillants, capitalistes, communistes ou musulmans, utilisent les mêmes méthodes. Autrefois abandonnée à sa faune et à sa flore, Thaï Deng est redevenue ville humaine, mais ce sont les femmes qui ont pris le pouvoir, désirant en faire un oasis de paix au milieu des combats. Pour la junte féminine, les mâles sont cause des guerres. C'est pourtant un homme que l'on kidnappe pour combattre l'ennemi anonyme qui menace la ville. Le sauveur virtuel : un électronicien drogué au klong, habitué des bordels de Bangkok, qui peu à peu s'attachera aux femmes de Thaï Deng, les commandantes sexistes, les dissidentes naïves et les autres. Mais sa différence biologique est une tare et, devant l'échec et le désespoir commun, il servira de bouc émissaire, même si quelques-unes voudraient bien l'avoir comme compagnon de lit.
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Commentaires
Jean-Pierre April nous livre un texte achevé, riche. J'ajouterais : sérieux et grave. Grave au sens où il contraste avec le ton souvent employé par l'écrivain, frisant le loufoque et le burlesque, ce qui n'empêchait pas les propos de posséder une signification percutante. Ici, on peut presque parler de réalisme, tant ce qui est décrit et raconté paraît juste (lieux, sentiments, comportements) et tant les éléments purement SF sont minces. Les personnages font vrai, ils ont une épaisseur psychologique, leurs émotions sont troubles et ambiguës. April ne nous avait pas habitués à cela. Le décor non plus ne souffre d'aucun vide, on se croirait réellement là-bas, dans ce merdier apocalyptique où hommes et femmes s'enfoncent depuis longtemps. Ce qui différencie principalement cette nouvelle de la plupart des autres de Jean-Pierre April, c'est donc la distanciation, minimale cette fois, par rapport aux événements racontés. L'implication émotive du lecteur en devient d'autant plus forte.
Comment d'ailleurs ne pas réagir devant ces scènes de la violence réelle, présentée crûment, excessive en soi, ne demandant donc pas à être grossie par la loupe de l'écrivain ? April nous montre la guerre dans ses innombrables replis, qui tue dans l'œuf l'espoir malhabile d'une paix durable. L'aveuglement assassin des hommes a engendré le sectarisme féministe. En voulant combattre le pouvoir mâle, les Thaïdengaises n'ont fait que le reproduire. Vision pathétique et non spéculation d'intellectuel. L'idée n'est sans doute pas neuve, mais elle a donné naissance jusqu'à présent à peu de textes de fiction.
Il ne faudrait pas croire que ce texte se détache complètement de l'œuvre antérieure d'April. On y retrouve quelques-uns de ses thèmes connus. Bangkok est à la fois symbole de l'acculturation imposée par l'Occident et celui de la dégénérescence de la civilisation. Le protagoniste-narrateur n'a lui-même plus de véritable identité nationale. C'est un Canadien, certes, mais il est plusieurs fois métis et ses yeux sont bridés.
Assurément, ce texte constitue une étape importante dans l'œuvre de Jean-Pierre April. J'irais même plus loin en affirmant qu'il est une sorte d'événement dans l'évolution de la science-fiction québécoise. [DC]
- Source : L'ASFFQ 1985, Le Passeur, p. 13-14.