À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
L’inspecteur Specteur a vendu son âme au diable pour devenir le meilleur inspecteur de police de la planète – ce qui signifie qu’avec son calibre .666 jamais à court de balles, il abat tous les criminels qu’il rencontre, histoire de regarnir les enfers en âmes damnées. Il opère ses ravages en Friande, pays dont la capitale – Capit – se distingue surtout par l’immense statue du nain qui fonda la République actuelle. Cette statue, étant creuse, abrite de nombreux commerces et services, souvent en relation avec les parties du corps qui les accueillent.
Specteur fait face au cas le plus difficile de sa carrière le jour où on découvre dans une boîte aux lettres un doigt coupé et une lettre signée D.L. qui met Specteur au défi de suivre la piste qui sera semée d’indices par le meurtrier… Effectivement, les indices ne tardent pas à débouler : pièces détachées d’un même cadavre, sosies, messages sibyllins, fabricant de chaussures à l’existence incertaine, machinations simplistes, suspects peu ragoûtants… En compagnie de son ami le curé Ré, cocaïnomane aux idées larges, Specteur fait de son mieux pour s’y retrouver.
Le diable l’ayant condamné à picoler comme un malade en contrepartie pour ses succès assurés comme détective, Specteur passe une partie de l’enquête à ingurgiter du Maiissíhkh, alcool à base de maïs et de navets pourris, et beaucoup trop de temps à soigner ses relations avec le commandant Mandant, son supérieur obèse qu’il ne peut pas sentir.
Néanmoins, Specteur parvient finalement à investir le repaire de Dilleux Lepaire. L’affrontement final – plutôt cinématographique – est ponctué d’un dialogue de potache sur les liens entre le bien et le mal. Après quoi tout revient plus ou moins à la normale, si on ne tient pas compte de quelques clones en trop…
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Commentaires
Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole, plaidait Victor Hugo à une certaine époque. Toutefois, en l’espace d’un chapitre ou deux, Ghislain Taschereau m’a convaincu que cette affirmation compte deux mots de trop. Les noms de personnages, soit relèvent du calembour (pénible), soit se lisent à l’envers, soit empruntent la syllabe finale de la fonction du personnage – le curé Ré, mademoiselle Zelle, le commandant Mandant, l’inspecteur Specteur, etc. La prose de l’auteur se caractérise d’ailleurs par l’abus de jeux de mots qui se veulent drôles, de renvois en bas de page qui se veulent fins et de répliques latines qui se veulent obscures. Il y a de quoi éroder la plus marmoréenne des patiences.
L’intrigue ne plane pas plus haut que l’humour sporadiquement scatologique de l’auteur. Le tout est agrémenté de scènes de sexe variées, de morts gratuites et de sadisme occasionnel. Le prétexte de la piste dont l’enquêteur doit remonter les indices égrenés par le criminel excuse ici une accumulation d’incidents invraisemblables. Les interventions de nains, culs-de-jatte et autres avortons doivent peut-être quelque chose à l’inspiration baroque et souvent absurde de Twin Peaks, le talent en moins. L’intrigue foule au pied ses propres incohérences pour arriver à ses fins. Et les lourdes allusions religieuses de la fin du livre tiennent plus du gag aléatoire – Taschereau a longtemps œuvré comme humoriste – que du sous-texte élaboré. C’est Specteur, qui a vendu son âme au diable, qui préside pourtant une Cène à peine déguisée, entouré de ses comparses policiers. Et si Dilleux Lepaire crée un clone de Specteur appelé Gézu Kri, il défend le bien d’une bien curieuse façon en assassinant une prostituée et en se livrant à de cruelles expériences biologiques. On peut traiter ces confusions des rôles comme un habile brouillage des schémas traditionnels et une analyse acérée du peu de distance qui sépare le bien et le mal. L’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ? En dépit cependant des prétentions affichées en quatrième de couverture, il serait plus vraisemblable de conclure que l’auteur a procédé sans plan d’ensemble et s’est contenté d’entasser les allusions au premier degré sans se soucier de leur cohérence.
Quelques trouvailles langagières brillent néanmoins dans ce torrent d’inepties et on se prend à penser qu’en gardant la confrontation finale entre Specteur et Dilleux Lepaire tout en réduisant le texte à une longue nouvelle, l’auteur aurait pu signer une histoire nettement plus percutante et amusante. Çà et là, quelques touches plus originales, comme ces Tavernes Occultes réservées aux damnés sur Terre ou cette statue si grande qu’elle est une ville en soi, témoignent des qualités d’imagination de l’auteur, mais elles ne sont pas très nombreuses…
Vita brevis, disaient les Anciens. Si on apprécie les aventures un peu surréalistes ou les enquêtes policières qui sont racontées en jouant con brio avec la langue française, il faut fuir Ghislain Taschereau et aller relire illico Boris Vian ou Léo Malet. Sinon, si on goûte le fatras comme un style en soi, on trouvera sans doute quelque mérite à ce premier roman de Taschereau. [JLT]
- Source : L'ASFFQ 1998, Alire, p. 164-165.
Références
- Benoit, Élisabeth, La Presse, 04-10-1998, p. B 5.
- Boivin, Marc-André, Québec français 115, p. 24.