À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Nicolas, agriculteur, catholique et père d’une famille nombreuse, se montre fier des qualités de généreux travaillant de son fils aîné, Jean, mais souffre du seul défaut qu’on lui reproche : sa facilité à blasphémer. Au chantier dont Jean est responsable, Dick Spencer, un inspecteur américain, propose un tournoi de jurons comme loisir du dimanche. Jean gagne la joute et mérite la montre en or promise par l’initiateur du jeu. La nouvelle ébruitée par une lettre d’un bûcheron choque le village et rend honteux le père Nicolas. Au printemps, c’est avec appréhension que le père attend le retour de Jean. La rencontre est houleuse, le père accuse le fils d’avoir avili le nom de la famille, le fils refuse d’admettre et de s’excuser. Exaspéré, Nicolas chasse son fils et le maudit. En entendant cela, la mère, Josette, est foudroyée par une attaque et meurt au bout de dix jours sans que son fils ne soit venu à son chevet. Le père, complètement abattu, vend tout et s’exile aux États-Unis où il meurt peu de temps après.
Jean revient régulièrement au village de St-A*** pour narguer les gens et montrer sa réussite malgré la malédiction de son père dont il se moque. Au cours d’un hiver, une grande tempête de neige obstrue les chemins du chantier ; plusieurs conducteurs de traîneaux se déclarent malades pour ne pas avoir à travailler dans ces conditions difficiles. Jean, en jurant, part ce jour-là avec un attelage de deux chevaux pour tracer une voie praticable. Au souper, il n’est toujours pas revenu, ainsi que deux compagnons. Ces derniers arrivent finalement, effrayés et en piteux état. Ils racontent avoir entendu Jean dire : « je passe sans votre aide ou le diable m’emportera ». Après quoi, il avait été assailli par un diable poilu et hideux qui l’avait entraîné au fond du lac avec les chevaux épouvantés par les cris déchirants de la bête démoniaque.
Commentaires
Ce conte inédit, provenant des archives familiales du petit-fils de l’auteur (Jean de Haerne), est paru pour la première fois dans l’anthologie dirigée par Claude Janelle. D’ailleurs, l’illustration du livre s’inspire du présent conte.
On trouve dans ce texte plusieurs des thèmes importants de la littérature du XIXe siècle, particulièrement la dichotomie entre, d’une part, le bien présent dans la famille canadienne-française, catholique et agricole et, d’autre part, le mal associé à l’aventure américaine, urbaine et mercantile. Hors la misère résignée dans la campagne québécoise, point de salut ! L’exil, assez ironique d’ailleurs, du père est sanctionné par sa mort. Nicolas, qui a toujours réprouvé les amis américains de son fils, prend le même chemin : il y a là une incohérence du personnage ou un désir d’autopunition que subit le reste de la famille.
Le fils, quant à lui, malgré toutes ses qualités humaines, perd son âme pour un défaut qu’il juge tout à fait anodin, comme beaucoup de travailleurs de cette époque, mais qui agace l’élite cléricale qui veut tout contrôler : la loi civile ne punissait plus les blasphémateurs comme au temps jadis, la loi civile avait grandement tort. Le fils indigne perd de sa prestance : plus il devient riche et persiste dans son vice, plus il est détesté et banni par les gens de sa communauté. Jean s’enfonce dans le mal : irrespect envers son père, vantardise, colère, etc., autant de défauts réprouvés par l’Église. Il défie tout un chacun et ne craint même pas le diable, c’est pourquoi il se noie – à l’image de son âme – à la fin du récit. La fonction éthique de ce conte est prépondérante.
La figure féminine correspond aussi aux canons de ce temps : discrétion et obéissance. Josette, malgré son opposition, n’intervient pas dans l’affrontement entre le père et le fils ; de plus, la maladie la laisse muette. C’est la première victime de la déchéance familiale qui symbolise l’impossibilité de la rédemption du fils à cause de son péché et de son absence de contrition : le fils a ainsi fait « mourir sa mère », menace parentale connue au Québec. L’idéal familial en est irrémédiablement brisé.
Le diable est représenté par une bête effrayante qui s’empare des gens qui ne respectent pas les préceptes religieux ou qui se moquent des rituels et des règles. Cette créature fantastique survient lorsqu’il n’y a plus de repentir possible : c’est l’étape ultime, la damnation. L’arrivée de Dick Spencer, l’Américain tentateur avec son jeu abominable et la montre en or en gage en est, néanmoins, une première manifestation moins terrible et plus pernicieuse. Il soumet les bûcherons à l’épreuve et Jean se laisse embobiner. La correspondance est donc évidente : l’américanité et l’or conduisent directement en enfer…
Ce conte, comme le mentionne Claude Janelle dans son introduction, est effectivement très représentatif des idéologies et des thématiques littéraires du XIXe siècle québécois. [AL]
- Source : L'ASFFQ 1999, Alire, p. 83-84.