Jugement (Le)

Monsieur Jean, médecin, est victime d’une panne, un soir de pluie sur une route de campagne. Il frappe à la porte d’une demeure cossue où messieurs Corbières et Friedrich, procureurs à la retraite, l’invitent à partager leur souper. Assommé par le vin et la conversation de ses hôtes, monsieur Jean se laisse entraîner dans une discussion qui devient interrogatoire, puis procès. Il avouera finalement avoir causé la mort de son père, victime d’une crise cardiaque au terme d’une dispute familiale. Les vieux procureurs mettent en scène une fausse exécution, mais l’accusé meurt, foudroyé à son tour par l’infarctus.

On diagnostique aisément dans ce texte de Le Berg le syndrome du mot excessif, commun chez les auteurs débutants, ce désir de faire image quitte à faire grimacer, ce désir aussi de faire littéraire, avec le résultat de faire ployer la phrase sous la pesanteur des grands mots. À l’occasion, un faux-emploi se manifeste, corollaire du syndrome, trahissant l’usage du dictionnaire analogique sans égard au sens juste des mots.

Consciemment ou non, Le Berg a ici pastiché Jean Ray, avec ces agapes nocturnes de vieux hâbleurs pédants, un soir d’orage, et l’énumération d’un menu chargé. Mais, dans les textes de Jean Ray, les convives ont une verve dont Le Berg n’approche jamais, et les mets sont présentés avec amour et gourmandise. L’élément musical plaqué à la nouvelle ne l’enrichit pas. L’analogie se dissipe rapidement, au fil de dialogues écrits sans finesse.

L’intrigue s’enlise dans une conversation où l’on tourne autour du pot, et l’on met la moitié du récit à parvenir au jugement dont il est question. La chute, correctement amenée, ne cause pas une surprise renversante.

Peut-être l’histoire de la panne lors d’une nuit pluvieuse, et du volet qui bat au vent, a-t-elle été trop souvent racontée ? Peut-être a-t-on trop souvent frappé, victime prévisible, à la porte de ce manoir où résident des personnages insolites ? [DS]

• Source : L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 86.