À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un jeune étudiant visite un appartement dans un immeuble habité majoritairement par des locataires âgés qui lui semblent un peu bizarres. Le concierge, un dénommé Herman Polansky, est encore plus inquiétant mais Francis se laisse séduire par l’appartement, d’autant plus que le loyer est très abordable. Laurence, une jeune femme dont il est tombé amoureux à l’université, vient bientôt demeurer avec lui. C’est alors que les incidents étranges se multiplient dans l’immeuble. Une nuit, le jeune locataire du 3B se jette par la fenêtre. Peu après, Laurence apprend la mort de sa meilleure amie, Élisabeth, et ne semble pas capable de se remettre de cette perte. Un mal mystérieux mine ses forces vitales mais elle semble prendre du mieux en compagnie d’Edna Goldwin, la locataire du 1A, qui lui prodigue des conseils.
Francis a cependant toutes les raisons de croire que l’immeuble qu’il habite est le repaire de suppôts de Satan et que Laurence est destinée à devenir la Servante dévouée du Diable. Une nuit, il surprend dans la cour intérieure de l’immeuble le concierge et quatre locataires en train d’invoquer le nom de leur Maître au cours d’une cérémonie qui doit consacrer son union avec Laurence. Incapable de sortir par la porte et voulant à tout prix sauver la jeune femme, Francis saute par la fenêtre de l’appartement et se réveille quelques jours plus tard à l’hôpital, immobilisé par de multiples fractures. Il apprend par la suite que Laurence est morte dans un accident de voiture en allant rendre visite à sa mère le jour même où est survenue sa chute.
Ne sachant plus s’il est victime d’une machination qui vise à l’éliminer ou s’il n’est pas tout simplement en train de perdre la raison, Francis retourne à son appartement. D’autres événements confirment ses soupçons. Il décide alors de mettre le feu à la bâtisse pour délivrer l’âme de Laurence prisonnière des serviteurs terrestres de Satan et précipiter ceux-ci dans les flammes éternelles où se consumait leur Maître.
Commentaires
Yves E. Arnau a écrit plusieurs scénarios pour la série télévisée « Edgar Allan, détective ». Littérature policière, littérature fantastique, Arnau aime puiser dans la grande tradition littéraire afin de nourrir son imaginaire. C’est un écrivain-caméléon, donc un écrivain humble qui n’a pas l’ambition de changer le monde. Laurence a pour pères spirituels Edgar Allen Pœ, E.T.A. Hoffmann et Guy de Maupassant.
Si ce roman, qui a été réédité en 1991, est fantastique, tel n’était pas le cas dans sa première édition parue en 1989. C’est la raison pour laquelle nous ne l’avons pas commenté dans L’ASFFQ à ce moment-là. Il y a d’ailleurs une anecdote amusante au sujet de ce livre qui mérite d’être racontée pour la petite histoire littéraire. En novembre 1990, je rencontre Yves E. Arnau au Salon du livre de Montréal et lui mentionne que son roman a failli être recensé dans L’ASFFQ 1989. Je lui explique qu’en raison de l’épilogue, Laurence ne pouvait être considéré comme une œuvre fantastique. Il m’annonce tout de go que le roman doit être réédité en format poche et qu’il enlèvera cet épilogue, ce qu’il n’avait pas fait malgré les conseils de son éditeur Robert Soulières lors de la première édition. Étonnant, n’est-ce pas ? C’est, à ma connaissance, la première fois qu’un roman, d’une édition à l’autre, change de statut générique parce que l’auteur supprime quelques pages.
Si j’insiste tant sur cette anecdote, c’est que Laurence constitue un exemple parfait pour illustrer la politique éditoriale de L’ASFFQ. Pour nous, n’appartient pas au genre fantastique un récit qui se présente explicitement comme une simple fiction, désamorçant ainsi les effets qu’il a patiemment mis en place. Entreprise paradoxale que celle d’Arnau qui, dans la première version, tout en connaissant les règles et les codes de la littérature fantastique, s’appliquait à les rendre inopérants au nom de la modernité du texte.
La mise en abyme de l’épilogue remettait en question le statut du roman d’Yves E. Arnau. En effet, dans cet épilogue, le lecteur apprend que le récit qu’il vient de lire est le dernier manuscrit de Francis Leclerc. Celui-ci a tout simplement imaginé une histoire fantastique pour traduire certains sentiments à une certaine époque de sa vie. « J’ai laissé s’épancher la mauvaise impression que j’avais conservée, de nos trois années passées dans cet horrible immeuble : je me suis vengé ! (…) cette piaule, c’était l’Enfer. » Ordinairement, le procédé de mise en abyme, utilisé régulièrement en littérature fantastique, sert à renforcer la « fantasticité » du texte. C’est le contraire qui se produisait dans la version initiale.
Sans doute les récits fantastiques des grands maîtres sont-ils inspirés pareillement d’expériences personnelles et de sentiments profonds que l’écriture traduit métaphoriquement en forçant la réalité. La différence, c’est qu’ils ne livrent pas leurs clefs dans le texte même comme le faisait ingénument Yves E. Arnau. À mon avis, l’épilogue minait l’impact du récit. Le côté inquiétant du texte était ainsi complètement désamorcé au profit d’une réflexion sur les mécanismes de la fiction. Comment fonctionne-t-elle ? De quoi se nourrit-elle ? Yves E. Arnau agissait comme un magicien qui nous envoûte pendant son spectacle avec ses tours de prestidigitation et qui, à la fin, nous explique comment il s’y est pris pour nous mystifier ! David Copperfield s’en garde bien !
La décision de l’auteur de retrancher l’épilogue est heureuse, d’autant plus qu’on sent qu’Arnau a fréquenté les grands maîtres du fantastique traditionnel et a bien assimilé les lois du genre et les éléments de la parapsychologie moderne contenus dans des livres comme celui du docteur Raymond Moody, Lumières nouvelles sur la vie après la vie. Il réussit à créer une atmosphère angoissante en présentant des personnages fortement typés comme le concierge, Mme Goldwin et Walter Scott. Évidemment, avec le recul, on comprend mieux la signification des clins d’œil qui parsèment le texte. On découvre que cela fait partie de l’entreprise ludique de l’auteur qui s’apparente à un pastiche respectueux. Ainsi, le nom du concierge évoque le cinéaste polonais Roman Polanski qui a réalisé Le Bébé de Rosemary et le Locataire, deux films dont le climat rappelle beaucoup le roman d’Arnau. Du premier, il a emprunté le caractère inquiétant du couple qui habite l’appartement voisin de Rosemary tandis qu’il a retenu du second l’obsession maladive qui détruit l’équilibre mental du locataire.
L’auteur met aussi à profit l’imaginaire propre aux récits de possession, de culte satanique et de réincarnation. Laurence se déploie dans la plus pure tradition des récits fantastiques. Arnau se montre habile conteur, capable de créer un climat oppressant en quelques paragraphes. Il maîtrise bien l’écriture, celle-ci s’attachant à décrire efficacement les divers états par lesquels passe le personnage principal. Elle n’est pas exempte cependant d’une certaine affectation – en cela aussi, elle rejoint ses modèles en privilégiant l’emploi systématique du passé simple – et de quelques tics dont le plus agaçant est certes cette manie de mettre partout des points-virgules dans le milieu d’une phrase devant un participe présent : « Je me livrai à des recherches fébriles ; me gavant de tous les manuels de parapsychologie et de démonologie disponibles. »
Quant aux personnages, le plus développé est celui du narrateur. Francis Leclerc nous est présenté comme un jeune homme sain, équilibré et rationnel. L’auteur dépeint avec habileté le cheminement du doute dans son esprit et l’angoisse qui l’étreint quand il découvre la réalité qui se cache sous les apparences. Le personnage de Laurence est plus flou et beaucoup moins élaboré. À part son apparence physique, on sait peu de choses sur elle. Son utilité première étant d’être destinée au Maître des ténèbres, l’auteur n’a pas jugé nécessaire d’étoffer outre mesure ce personnage. Les complices de Satan sur terre sont décrits avec beaucoup de vigueur. Si Rose Gallieni et Léopold Verne demeurent effacés, Herman Polansky, Walter Scott et Edna Goldwin composent un fameux trio infernal.
Laurence ne possède pas la richesse symbolique d’une œuvre inépuisable comme Les Enfants du sabbat d’Anne Hébert mais le roman d’Arnau se laisse lire avec plaisir pour peu qu’on veuille bien retrouver la disposition d’esprit qu’on avait à la lecture de nos premiers contes fantastiques français et anglo-saxons du XIXe siècle. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 16-19.
Références
- Allard, Jérôme-Olivier, Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec VIII, p. 543-544.
- Crevier, Chantal, Lurelu, vol. 14, n˚ 2, p. 19.
- Le Brun, Claire, imagine… 57, p. 94-95.
- Ménard, Fabien, Solaris 89, p. 10-11.
- Sarfati, Sonia, La Presse, 12-05-1991, p. C 5.