À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
De retour dans son domaine le jour de Noël, le seigneur de Mortemart constate avec terreur et consternation que des siècles semblent s’être écoulés depuis son départ : son château n’est plus que ruines, les dalles des allées sont disjointes, les arbres sont délabrés… Pourtant, il n’est parti que la veille. Que s’est-il donc passé entre son départ pour le château voisin, où il était allé inviter le maître de Pléneuf à fêter Noël chez lui, et son arrivée au domaine de Mortemart ?
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Gagnante du sixième prix du concours littéraire de Noël organisé par Le Nouvelliste en 1962, cette nouvelle de François Cormier rappelle un peu les contes fantastiques québécois du XIXe siècle. Pas en ce qui a trait au cadre spatio-temporel – la nouvelle se déroulant vraisemblablement en Europe puisque le seigneur de Mortemart est un chevalier du Moyen-Âge – mais plutôt en ce qui a trait au motif du fantastique. En effet, tout comme dans le conte québécois du XIXe siècle, le fantastique apparaît ici à la suite d’une transgression religieuse : le seigneur de Mortemart a déclaré au chapelain du château de Pléneuf qu’il ne croyait pas en Jésus et qu’il y croirait seulement si l’on fêtait encore Noël à son château dans cent ans.
Voilà pourquoi des siècles s’écoulent entre son départ et son arrivée au château, où il constate, après les premières minutes de terreur, que des romanichels sont en train de chanter Noël dans la grande cour de son domaine. Un grand calme l’envahit alors et il meurt, apaisé. Sa faute, qui était de ne pas croire en Jésus, nécessitait réparation. Cette finale, que l’on pourrait trouver décevante aujourd’hui, répondait sans doute à l’attente des lecteurs québécois du début des années 1960 qui vivaient dans une société encore très religieuse. D’ailleurs, la quasi-totalité des nouvelles primées lors du concours du Nouvelliste en 1962 présentaient un caractère religieux et édifiant, ce qui était susceptible de plaire au public de l’époque, particulièrement pendant la période des Fêtes.
Cependant, en même temps qu’elle évoque le conte fantastique québécois du XIXe siècle, la nouvelle de François Cormier s’en distingue aussi, comme nous l’avons laissé entendre plus tôt, par l’originalité de son cadre spatio-temporel. « Légende » se déroule en effet dans les vieux pays et met en scène un chevalier du Moyen-Âge. C’est à travers le regard de ce dernier que nous est présentée l’histoire, le narrateur lui ayant délégué la focalisation. Ce qui nous amène à formuler une critique : le regard qui se pose sur les événements étant celui d’un homme du Moyen-Âge, l’auteur n’aurait-il pas dû adopter une langue davantage médiévale plutôt que d’utiliser presque exclusivement des termes appartenant au français moderne ? Cela aurait permis au lecteur de pénétrer encore plus dans l’univers du seigneur de Mortemart en même temps que cela aurait ajouté une touche de mystère supplémentaire au récit, ce qui n’est pas à dédaigner quand on écrit du fantastique.
Pour le reste, la nouvelle de François Cormier est bien construite, l’auteur réussissant à soutenir l’attention du lecteur grâce à un texte court et condensé qui fait beaucoup de place au suspense. Une nouvelle fantastique somme toute assez bien réussie, surtout si l’on considère que le but recherché par l’auteur était probablement d’édifier ses lecteurs. [SN]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 52-53.