À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Lors d’une réunion de famille visant à souligner le départ de son fils Jules pour la France, madame d’Haberville raconte aux convives cette légende. Une mère qui n’avait qu’une fillette est inconsolable depuis la mort de celle-ci. Un jour, s’étant endormie dans l’église après une longue séance de prières et de larmes, elle s’éveille en pleine nuit et voit apparaître une procession de petits enfants rayonnants de joie parmi lesquels elle reconnaît sa petite fille. Mais celle-ci est triste et semble condamnée à traîner péniblement deux immenses seaux. La mère éplorée consulte un cénobite qui lui explique le sens de l’apparition et l’enjoint d’arrêter de pleurer la mort de sa petite fille si elle l’aime vraiment, les larmes versées étant à la charge de la pauvre enfant.
Commentaires
Ce texte constitue en fait le chapitre onzième du roman d’Aubert de Gaspé père, Les Anciens Canadiens. La légende racontée par madame d’Haberville est un conte édifiant qui sert à véhiculer une morale convenue. Par l’entremise d’un saint ermite, l’auteur explique la symbolique de la procession d’enfants qui est apparue à la mère inconsolable. « Cette procession de jeunes enfants couronnés d’immortelles, signifie ceux qui sont morts sans avoir perdu la grâce de leur baptême. […] Dans les petites coupes d’or et d’argent étaient les larmes que la nature, avare de ses droits, avait fait verser aux mères… » Visiblement, l’auteur ne fait pas tellement confiance au lecteur puisqu’il a choisi de tout lui expliquer. Ce parti pris didactique vient appuyer une morale pour le moins édifiante, ce qui révèle les véritables préoccupations littéraires d’Aubert de Gaspé.
La légende étant enchâssée dans un texte qui décrit une réunion de famille au manoir d’Haberville quelques années avant la Conquête, c’est ce prologue (ou cette mise en contexte historique) qui apparaît le plus intéressant. Les discussions animées entre les invités au repas en disent long sur le sentiment patriotique et les idées reçues de l’époque. Toutefois, le lecteur qui n’aurait pas lu les chapitres précédents aura un peu de difficulté à démêler tous ces personnages et à comprendre quels liens (d’amitié ou de parenté) ils entretiennent les uns avec les autres.
Cette cohabitation de la légende et du récit historique dans un même chapitre de roman a cependant l’avantage de mettre en évidence ce qui distingue ces deux formes de discours narratif. Dans la légende, les superlatifs ne sont pas assez forts pour décrire une situation et il y a surenchère dans l’expression, ce qui nous vaut des phrases comme celle-ci : « La pauvre mère verse tant de larmes qu’elle augmente le cours du ruisseau ! » [CJ]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 21-22.