Légende de Thogoruk (La)

Marc, un citoyen francophone de l’an 2077, est capturé par une « soucoupe lumineuse » et emmené sur la planète Thogoruk, à dix années-lumière de la Terre. En chemin, il est soumis à un apprentissage accéléré de la langue de Thogoruk et à des modifications physiologiques afin de survivre dans une atmosphère comprenant de l’hydrogène et de l’hélium. La civilisation de Thogoruk s’étiole et dépend de plus en plus des mini-hommes peu intelligents qui occupent les postes subalternes. Si les stations spatiales fonctionnent encore, il ne reste presque plus personne à la surface de la planète originale, ravagée par les guerres, la pollution et les catastrophes naturelles.

Sur place, il est accueilli avec pompe à Kuovo et marié à Kuko, la dernière femelle nubile de son espèce. Depuis des siècles, la reproduction ne se fait plus que par insémination artificielle et il ne reste plus de mâles sur Thogoruk. Toutefois, les spermatozoïdes prélevés sur Marc ne suffisent pas à régénérer le génotype des Thogorukos, trompant les espoirs de ses ravisseuses.

Peu à peu, les dernières survivantes s’éteignent. Kuko hérite du poste d’Impératrice, tandis que Marc reste son consort. Après avoir longtemps étudié l’histoire et les accomplissements technologiques des Thogorukos, il se charge de la gestion du développement spatial. Ensemble avec Kuko, une poignée de membres de l’armée de l’espace et un contingent de mini-personnes, Marc retourne vers la Terre.

Grâce à une bombe d’amour biochimique inventée sur Thogoruk, l’Impératrice Kuko prêche sur la Terre un message d’amour, de paix, d’harmonie cosmique et milite en faveur « de la nécessaire fraternité en vue de la réalisation de cette compression socialisante planétaire par cette polarisation des volontés individuelles, prélude à un enroulement de la nouvelle conscience réfléchie, à l’échelle de la galaxie cette fois… » Et alors les hommes vécurent d’amour.

Roman de science-fiction ou pamphlet raëlien ?

Si je ne m’étais pas engagé à faire la recension de ce livre, je me serais arrêté de le lire à la page 9. Après la capture de Marc, sa compagne, Cranza, qui a assisté à l’enlèvement se réfugie dans une ferme non loin, où la fermière (Madame Blanchette, si, si…) téléphone à une voisine pour prendre conseil… et appelle alors la police ! Cranza est hospitalisée et des psychiatres la traitent pour ses « hallucinations »… comme si l’absence de Marc n’avait pas été constatée ! Pendant ce temps, Marc arrive dans une station orbitale géostationnaire appartenant aux extraterrestres, en plein au-dessus du pôle Sud ! Non seulement une telle station est en contradiction flagrante avec la mécanique céleste, mais il faut se rappeler que cela se passe en 2077, tandis que les Terriens ne semblent pas avoir repéré cette fameuse station…

Les choses ne font qu’empirer après ces trois pages initiales. L’action traîne en longueur. Le style de l’auteur est prodigieusement ampoulé et farci d’adjectifs. Ses personnages dissertent sur les émotions qu’ils sont censés ressentir et s’expriment au moyen de platitudes tirées des manuels de pédagogie élémentaire. Le personnage de Marc est plus que falot ; on n’apprendra jamais quoi que ce soit au sujet de sa vie antérieure. À vingt-cinq ans passés, il se comporte comme un gamin de quinze ans qui vivrait en 1927 et non en 2077 quand il est confronté aux grandes réalisations technologiques de Thogoruk, car l’auteur désigne par ces termes des innovations réalisées sur Terre au cours des cinquante dernières années. Ses étonnements constants, étant donné ce qu’il a sous les yeux, portent le lecteur à croire que Marc est légèrement demeuré, ou drogué en permanence par ses ravisseuses.

L’auteur, ancien directeur d’école, décrit Marc en train d’étudier l’histoire de Thogoruk sous la sage férule des savantes de la planète. L’histoire de Thogoruk imaginée par l’auteur est encore ce qu’il y a de moins ennuyant dans ce livre, même s’il pille de grands pans de l’histoire terrestre. Il prouve en passant qu’il n’a jamais dû enseigner les mathématiques, à en juger par ce Kashan le despote qui, à la tête de cavaliers armés de sabres, parvient à tuer près de quatre milliards de Thogorukos en une décennie. Même avec des années de quatre cents jours et quelques, cela revient à massacrer un million de personnes par jour… avec des sabres et des piques !

L’incompétence de l’auteur est peut-être la plus flagrante en astronautique. Ainsi, à la page 19, on apprend que les habitants de Thogoruk ont traversé la galaxie pour capturer Marc. Puis, deux cents pages plus loin, on apprend que la Terre est à dix années-lumière de Thogoruk ! La description du voyage spatial au cours duquel Marc retourne sur Terre est un bijou d’ineptie scientifique.

Cependant, Dupont ne se montre pas plus génial en physique des gaz ou en biologie, puisqu’il postule l’atmosphère d’une planète terrestre qui comprend de l’hydrogène et de l’hélium, supposément nécessaires à la vie sur Thogoruk, qui perd pourtant des molécules d’eau. Or, il n’y a pas plus léger comme molécules que l’hydrogène et l’hélium, qui s’échapperont donc de l’atmosphère de planètes comme la Terre bien avant les molécules d’eau.

L’auteur commet aussi quelques bourdes du même acabit en biologie, car c’est un darwiniste classique, qui semble s’inspirer directement des œuvres originales de Darwin, en partie contredites par les découvertes récentes de la biologie moléculaire et des spécialistes de l’évolution. Sans parler de son optimisme béat concernant l’interfertilité de deux espèces intelligentes ayant évolué sur des mondes différents !

Bref, il a produit avec ce roman un florilège de la sottise scientifique, ce qui jure avec ses velléités didactiques. Pourtant, c’est clair qu’il a tenté de s’informer. Le vocabulaire est souvent approprié et certaines notions de base sont présentes, mais c’est la compréhension qui fait défaut. On dirait qu’il a tiré ses connaissances (pseudo-)scientifiques de livres du Nouvel Âge ou d’ouvrages ésotériques, où les auteurs mélangent un message mystique avec des faits scientifiques glanés dans des livres de vulgarisation rédigés par des journalistes parfois dépourvus de la formation nécessaire pour en parler.

Le message d’amour du livre serait moins horripilant s’il avait été traité avec la retenue relative de Pierre Billon dans L’Ultime Alliance. Quant à la bombe d’amour biochimique, elle a déjà été exploitée avec plus de bonheur par John Brunner dans Tous à Zanzibar. Toutefois, les personnages ne ratent jamais une occasion de faire de la morale, ce qui devient lassant au bout de trois cents pages. La dimension mystique du roman relève de l’ésotérisme le plus abscons et le plus insignifiant.

Si les livres de cette espèce ont le moindre succès, c’est sans doute parce qu’ils débordent de bonnes intentions. Mais cela ne suffit pas à faire de celui-ci un roman le moindrement potable. [JLT]

• Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 80-82.

• Bélil, Michel, imagine… 68, p. 136-137.