À propos de cette édition

Langue
Français
Éditeur
Beauchemin
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Contes étranges du Canada
Pagination
13-26
Lieu
Montréal
Année de parution
1962

Résumé/Sommaire

Depuis que la pêche est terminée sur les bancs de Terre-Neuve, Cathleen passe tout son temps à scruter l’horizon de la Pointe-aux-Sables : elle attend le printemps qui ramènera dans les parages les pêcheurs étrangers et, avec eux, Joao, son amoureux portugais. Un soir, à la veille de la nouvelle saison de pêche, elle rencontre Jakatar – Jacques-à-Terre –, le jeune mousse français, qui lui avoue son amour et qui lui transmet une enveloppe tachée de sang. Dès son retour à la maison, Cathleen, bouleversée, raconte à sa mère son étrange rencontre. Elle apprend que, quelques jours auparavant, Jakatar a été retrouvé mort, le corps fracassé sur les rochers d’Aguathuna. La jeune fille a donc rencontré un fantôme. De la lettre qu’il lui a remise, seulement deux lignes sont visibles : elles révèlent que le papier qu’elle tient entre ses mains est la « Lettre de Jésus-Christ », un puissant talisman qui a, entre autres, la propriété de préserver les parturientes des douleurs de l’accouchement.

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Commentaires

Les amateurs de contes fantastiques ou les folkloristes (professionnels et dilettantes) seront probablement déçus de constater que les histoires que rapporte Louise Darios dans Contes étranges du Canada n’ont d’étrange que le nom. Contes étranges du Canada réunit en effet onze récits dont les sujets sont empruntés au folklore et à l’histoire d’autant de provinces canadiennes – le onzième texte provenant du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. La plupart des contes du recueil relatent des anecdotes piquantes qui en disent relativement peu sur l’imaginaire fantastique propre au Canada car seulement quatre textes relèvent de la tradition fantastique. « La Lettre de Jésus-Christ » s’avère une adaptation libre d’un conte légendaire que l’auteure a recueilli au cours de ses recherches sur les cultures traditionnelles des Amériques.

Il faut d’abord souligner l’aspect très “écrit” du conte dans lequel Darios fait valoir ses talents d’écrivaine plus qu’elle ne dresse un portrait fidèle des manières de raconter caractéristiques de nos traditions orales. Pour se familiariser vraiment avec les structures du conte traditionnel, il vaut peut-être mieux relire les transcriptions d’Honoré Beaugrand ou de Louis Fréchette qui, bien qu’elles révèlent également la griffe de leur scripteur, reproduisent tout de même assez fidèlement l’art et la manière des conteurs d’autrefois. Notons toutefois que Darios a pris soin d’intégrer son histoire dans une structure polyphonique qui tente de restituer (sans réellement y parvenir d’ailleurs) l’ambiance des soirées de contes d’antan : « La Lettre de Jésus-Christ », à l’instar de la majorité des textes du recueil, s’ouvre sur un préambule didactique dans lequel un conteur place le récit dans son contexte historique (en l’occurrence, l’arrivée massive d’immigrants irlandais à Terre-Neuve au cours du XIXe siècle).

Cette première introduction est elle-même suivie d’un second préambule destiné à « dresser la table », c’est-à-dire à établir les enjeux principaux de l’histoire : les revenants (dont, selon les habitants de la place, la nationalité française est une caractéristique essentielle), l’amour et le mariage (que Cathleen devra, au dire de sa mère, contracter avec « quelqu’un d’chez nous ») et la religion (parce qu’accorder crédit aux histoires de fantômes est apparemment incompatible avec le fait d’avoir la foi en Jésus-Christ).

Le texte hésite donc longtemps avant d’entrer dans le vif du sujet, comme si l’auteure craignait que son lecteur ne s’égare en cours de lecture, faute d’être suffisamment informé des us et coutumes des pêcheurs irlandais. Ce qui me fait supposer que Darios s’adresse peut-être davantage à un public étranger (étant elle-même une Européenne chez qui des racines péruviennes ont suscité une passion pour l’Amérique) qu’à un lectorat canadien. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle elle a conféré à son récit une couleur locale, en donnant à ses dialogues le style de la langue orale par exemple, stratégie d’écriture qu’elle abandonne parfois en cours de récit (le langage châtié de Cathleen qui s’entretient avec son amoureux portugais, entre autres, tranche avec le parler populaire des autres personnages du conte).

Tout compte fait, on peut dire que « La Lettre de Jésus-Christ » (ainsi que les autres textes de Contes étranges du Canada) vaut davantage comme chronique romancée du passé qu’en tant que document historique ou scientifique. Les maladresses de l’écriture contribuent en outre à en diminuer la valeur littéraire. Les amateurs pourront néanmoins apprécier le fait que le texte élabore une histoire peu rapportée par les conteurs francophones, et que, ce faisant, « La Lettre de Jésus-Christ » peut en soi constituer une introduction à la culture populaire du Canada anglais. [ID]

  • Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 59-60.