Life time owner's

Il ne reconnaît pas l’image que lui renvoie la vitrine quand il s’y regarde. Cet inconnu qui dégage une assurance tranquille n’est pas lui. Pourtant, le reflet exécute les mêmes gestes et mimiques que lui. Croyant qu’il s’agit d’un subterfuge, Jean Hachette veut percer le mystère et franchit la porte de ce qui semble être un magasin. Il est accueilli par un ancien confrère d’école qu’il ne reconnaît pas. L’homme lui explique qu’il a changé de vie et qu’il peut offrir gratuitement à Jean cette possibilité. Il n’a qu’à choisir sa profession, son statut social, sa femme, sa maison… Quand il ressort de la pièce, Jean Hachette est un tout nouvel homme.

« Life time owner’s » repose sur un postulat bien simple : qui n’a jamais rêvé de changer de vie ? C’est la possibilité qui est offerte sur un plateau d’argent à Jean Hachette, un pauvre type, alcoolique et sans le sou. La proposition est alléchante, d’autant que la substitution ne coûte rien. Trop beau pour être vrai… Il y a sûrement une clause cachée dans ce contrat tacite. C’est ce qu’on croit. Le type qui s’occupe de son dossier, cet ami de collège, va sûrement lui réclamer son âme en échange de cette nouvelle vie.

Denis Montpetit déjoue nos attentes. Le préposé du Life time owner’s n’exige rien pour ses services. Il sait trop bien que l’homme n’est jamais satisfait de sa condition, qu’il en veut toujours plus. En sortant du magasin, Jean Hachette voit le reflet d’un dieu grec dans la vitrine, l’image d’un surhomme. Il donnerait tout pour lui ressembler.

Le conte moral de Montpetit est une réactualisation des contes traditionnels du XIXe siècle. L’âme n’est même plus une monnaie d’échange dans le monde moderne gangrené par la consommation et le matérialisme. Tout n’est qu’apparence et faux-semblants. Le constat est accablant : l’homme n’a plus rien à vendre, il ne vit que pour l’image.

C’est l’astuce de ce texte, écrit sans effets de style, que de dénoncer subtilement l’éternelle insatisfaction de l’homme et sa désolante propension à la facilité, aux concessions morales. [CJ]

• Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 144.