À propos de cette édition

Éditeur
Fides
Titre et numéro de la série
Compagnon du soleil - 2
Titre et numéro de la collection
intermondes
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
306
Lieu
Montréal
Année de parution
1976
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Le voyage de noces qu’Oakim offre à Nanou se transforme en idylle, les conjoints partageant un bonheur qu’ils avaient cru impossible en Ixanor. Quand Oakim rentre à Xantou pour an­noncer leur mariage à ses parents, une découverte compromettante dans le jardin familial l’oblige à faire porter les soupçons de son père sur lui-même pour éviter de livrer Arkel et Nam à la police. Oakim entre dans la clandestinité et le Compagnon du Soleil amorce une existence d’homme traqué.

Pour son père, devenu ministre, c’est la disgrâce politique. Pour sa mère, à qui on ne révèle pas les raisons de la disparition d’Oakim, c’est le début d’une douloureuse incertitude. Pour Nanou, c’est le début d’un long enfer­mement, mais pas exactement au secret puisque les autorités de l’Ixanor espèrent qu’Oakim essaiera de la retrouver.

Pour la Résistance, c’est surtout un cadeau empoisonné. Il faut à la fois cacher Oakim et se garer d’une possible trahison. Néanmoins, l’autorité d’Arkel, à la tête d’un réseau puissant, s’impose à tous, car lui sait qu’Oakim ne peut pas être le fils de Drek, mais qu’il doit être le fils de Kmir. Arkel n’avait soutenu que de loin la résistance au Grand Changement, mais il a été arrêté et condamné comme les autres. Seul d’entre eux à être sorti vivant des mines de Gor, il souffre de la culpabilité du survivant et il souffre aussi d’avoir abandonné sa femme et son fils à un sort de proscrits nocturnes. Du coup, il est prêt à reporter sur Oakim le prestige de Kmir, assassiné dans les mines de Gor, et à compter sur ce brillant élève de l’école de l’Oiseau de feu pour prendre sa propre relève à la tête d’un réseau de Résistants.

Lorsque l’État se résigne enfin à annoncer la défection d’un Compagnon du Soleil et à placarder la photo d’Oakim sur tous les murs, celui-ci est envoyé loin de Xantou pour déjouer la traque policière. À la faveur d’un imprévu, Oakim fausse compagnie à ses contacts de la Résistance parce qu’il a carrément décidé de fuir l’Ixanor afin de ne plus avoir à redouter de trahir ses amis. Il s’aventure dans la montagne et atteint la Ditrie voisine, principale source de sel pour la population de l’Ixanor. Il découvre un pays aux infrastructures primitives et à l’organisation sociale bien incomplète si on la compare au fonctionnement optimisé de l’Ixanor. En Ditrie aussi, la révolte gronde et Oakim, confondu avec le chef des rebelles, José, aboutit en prison où il est promis à une exécution sommaire.

En Ixanor, Arkel est enfin arrêté par la police et il n’arrive pas à s’empoisonner avant d’être réduit à l’impuissance. Il redoute alors l’interrogatoire chimique qui l’obligera à livrer tout ce qu’il sait avant d’oblitérer sa conscience. Toutefois, une intervention d’un autre réseau de Résistants obtient son exécution immédiate, avant l’interrogatoire qui aurait anéanti la cause pour laquelle il a vécu, et il se rend à sa mort avec le sentiment de remporter une victoire.

Quant à Drek, qui avait espéré faire parler Arkel, il est anéanti par une nouvelle d’une source inattendue, qui lui apprend qu’Oakim ressemble à s’y méprendre à Kmir. Atterré de savoir que sa femme l’a dupé, consterné par la trahison qui a émané de l’intérieur de l’administration, désolé de perdre un fils qu’il avait voulu aimer et qui l’a déshonoré, Drek se tue.

Commentaires

Le second tome de la trilogie de Corriveau ne s’intéresse plus aussi exclusi­vement au personnage d’Oakim et l’ouvrage s’éloigne du coup du bildungsroman pour jeunes. La révolte adolescente d’Oakim s’use dans l’expérience de la clandestinité où la survie se paie en vies sacrifiées, jusqu’à l’écœurement du fugitif. Des adultes aux motifs complexes prennent la relève si bien que l’attention du lecteur se porte désormais sur ces personnages solidaires du destin d’Oakim. Kmir, le martyr du Grand Changement, est une absence agissante pour les deux familles au cœur de la trilogie, soit celle d’Oakim et celle de Nam. C’est le père biologique d’Oakim, l’homme que Méani a aimé avant de se jeter dans les bras de Drek pour qu’il les sauve, elle et son fils, de la nouvelle tyrannie du jour et de la nuit. Pour Arkel, c’est le modèle du révolutionnaire et du meneur qu’il aurait souhaité être, et qu’il est devenu au retour des mines de Gor. Pour Drek, enfin, c’est l’homme à qui Méani a donné son cœur et aussi un fils, le fonctionnaire n’héritant que des restes du Résistant.

Cette tragédie familiale demeure sous-exploitée dans le second volume qui tend à s’éparpiller. À l’amour d’Oakim et Nanou succède la déchéance pour chacun d’eux, qui ne se reverront pas. De fait, l’intrigue perd un peu de son intérêt dans la mesure où Oakim, devenu suspect après avoir été insoupçonnable, a perdu une grande partie de sa liberté d’action. De plus en plus, c’est le désespoir qui détermine ses faits et gestes.

La présentation des personnages reste grevée d’un certain schématisme. Ils sont définis par leurs rôles politiques et personnels, mais ils acquièrent rarement une dimension plus individuelle grâce à des incidents ou des traits. Dans leur intimité, ils sont plus souvent calculateurs que passionnés.

Le personnage d’Arkel domine le second tome. Complice impuissant des premiers Résistants, il est devenu un des principaux meneurs du mouvement en revenant à Xantou et il est un des seuls à articuler une vision différente de l’avenir, une fois abattu le pouvoir en place. Physiquement, toutefois, il est à bout, ce qui fait de son combat l’élément le plus poignant du volume.

La rédaction par Arkel de son histoire du Grand Changement et du monde d’avant alors qu’il perd la vue (et pressent sa propre mort) pourrait refléter les circonstances de l’ultime travail d’écriture de Corriveau sur sa trilogie avant la maladie qui l’a fauchée prématurément. Il semble avéré que sa livraison et son impression ont été hâtées parce que l’autrice se savait condamnée.

Le récit fournit quelques indications géographiques, climatiques et botaniques, mais sans vraiment situer l’Ixanor et la Ditrie sur la carte du monde actuel. Des allusions permettent toutefois d’exclure qu’ils se trouvent en Afrique ou dans l’hémisphère sud. Corriveau brouille les pistes afin d’offrir au lecteur une dystopie aussi parfaitement coupée de son cadre de référence que l’utopie traditionnelle. Le nom de la capitale, Xantou, ne renvoie-t-il pas à la mythique Xanadu ? D’autres noms restent indéchiffrables, à part la ville maritime de Talas qui fait penser au mot grec pour la mer, thalassa.

L’idée de base demeure aussi originale qu’horrifiante. Corriveau aurait mis cinq ans à écrire sa trilogie, qu’elle place sous le signe de deux vers célèbres de William Blake (« Some are born to sweet delight, / Some are born to endless night »), mais il convient de noter qu’en 1971, Philip José Farmer faisait paraître une nouvelle remarquée, « The Sliced-Crosswise Only-On-Tuesday World », où la surpopulation oblige les gens à ne vivre qu’un jour par semaine grâce à un procédé qui suspend pour eux le passage du temps les autres jours, si bien que sept personnes peuvent se partager un appartement. Par certains côtés, la trilogie évoque aussi Les Dépossédés (1974) d’Ursula K. Le Guin, mais l’influence de ce dernier ouvrage ne saurait avoir été que tardive.

Corriveau soulève la question de la place de la religion dans le monde ra­tionnel à l’excès de l’Ixanor. Il ne reste pas grand-chose des croyances d’antan, mais un vieux jardinier, Raxos, entretient le culte du dieu muet, qui ne parle plus aux mortels et que l’on vénère en silence. Corriveau ne se prononce pas ouvertement, mais Oakim admet volontiers que ce culte souterrain répond à un besoin de reconnaissance très humain de la part de mystère que la vie conserve, même dans un futur aussi technicien. L’athéisme de l’Ixanor rappelle également l’option matérialiste des régimes communistes contemporains de Corriveau.

Le Génie de Xantou a-t-il supplanté en partie le Dieu des religions traditionnelles ? En plus de représenter une possible réminiscence orwellienne, le bulletin de nouvelles quotidien à la télévision, que tous les citoyens de l’Ixanor doivent écouter, pouvait rappeler aux lecteurs de la génération de Corriveau le créneau quotidien autrefois réservé à la radio au chapelet catholique.

Si le premier tome était consacré à une utopie futuriste trompeuse, le second tome souligne l’importance du passé sans tout à fait trancher en faveur d’un retour en arrière. La question reste ouverte en attendant le résultat de l’affrontement entre les maîtres d’Ixanor et les révoltés de la nuit. [JLT]