Ma prison de chair

De son lit d’hôpital, Caroline, une adolescente, voit défiler parents et amis qui viennent se confier à elle, sûrs de sa discrétion puisqu’elle est dans un profond coma depuis un accident. Cependant, si elle ne peut ouvrir les yeux et bouger, elle entend fort bien ce que les visiteurs lui disent. Ainsi, son « chum » vient lui confier que malgré les apparences et une éducation religieuse stricte, il est tout à fait athée. Elle s’intéresse aussi au drame que vit son ancien petit ami, Maxime. Celui-ci semble très mal dans sa peau et cherche à comprendre les circonstances nébuleuses de sa naissance. D’abord, il révèle à la directrice adjointe de la polyvalente, madame Visvikis, que sa vieille mère décédée chez qui il travaillait à l’occasion lui a laissé de l’argent et des papiers qui reviennent en droit à sa succession. Ceux-ci révèlent que la fortune de M. Visvikis s’est constituée au cours de la Deuxième Guerre mondiale à la faveur d’un commerce culturel avec les nazis. Madame Visvikis refuse cet argent mal acquis et lui avoue avoir appris ce secret en faisant le ménage dans la maison familiale après le décès de sa mère.

Lors d’un arrêt cardiaque, Caroline apprend à sortir de son corps. C’est en effectuant des voyages astraux qu’elle s’aperçoit qu’elle peut saisir et influencer les pensées d’une personne en la touchant, spirituellement parlant. Par ce moyen, elle réussit à convaincre Maxime de tenter une fois de plus de contacter madame Visvikis pour en apprendre davantage sur sa naissance car l’autoritaire directrice adjointe aurait, selon les recherches entreprises, connu sa mère au moment de la naissance de Maxime, toutes deux figurant sur la liste des gradués universitaires de la même institution la même année. Le jeune homme est particulièrement troublé par le fait que l’endroit indiqué sur son certificat de naissance et la description que lui en faisait sa mère avant sa disparition ne concordent pas.

Caroline intervient psychiquement auprès de madame Visvikis et de Maxime pour qu’ils aient le courage de se parler. C’est ainsi que Maxime apprend que la directrice adjointe est sa mère biologique et qu’il a été donné en adoption pour ne pas déplaire à son père biologique, l’époux de madame Visvikis, qui ne désirait pas d’enfant. Tous deux tentent de se rapprocher. Caroline revient dans son corps et décide de tout faire pour qu’il se meuve puisque les contacts paranormaux la satisfont peu. C’est ainsi qu’elle se réveille de son coma.

Dans ce roman, Susanne Julien ramène des personnages qui sont déjà apparus dans quelques autres œuvres de la même collection. Le faubourg St-Rock constitue toujours le lieu de l’action et une carte en clôt l’histoire. La narration au « je » permet, comme dans beaucoup de récits fantastiques, de suivre les états du narrateur dans sa découverte du phénomène paranormal. Ainsi, les voyages astraux et la télépathie sont rendus possibles et explicables par la grande volonté de la protagoniste de communiquer avec les autres et de les aider. Si la première sortie du corps, due à un arrêt cardiaque, est accidentelle, Caroline essaiera volontairement de provoquer cet état par la suite. Lors de ces deux sorties, elle tentera de prendre le contrôle de ses déplacements et, surtout, d’entrer en contact avec les autres : massages, pensées télépathiques, etc. La jeune fille prend vite conscience des limites de ce moyen paranormal. Il sert de prélude à son réveil physique.

L’auteure aborde des thèmes très adolescents, comme la révolte contre l’autorité parentale et scolaire, la recherche de son identité, la quête d’authenticité… Le choix des tournures et des mots montre une volonté de donner un ton plus vraisemblable et actuel pour, sans doute, accrocher ses lecteurs. « Ouais… c’est super. […] Woh les moteurs ! Lance-moi un verre d’acide en pleine face, tant qu’à y être ! […] Mon maudit fendant ! » Cependant, elle va aussi chercher des expressions oubliées depuis longtemps : « Tudieu ! », ce qui crée un décalage inconfortable. Le ton prêchi-prêcha anticlérical alourdit l’histoire : on peut comprendre que Josaphat-Célestin renie la religion de ses parents et son prénom, mais de là à rendre ses parents sectateurs parce qu’ils pratiquent et élèvent leur enfant dans leur croyance, il y a une limite. D’autre part, ces mêmes parents sont présentés comme compréhensifs et bons. On sent, derrière les propos de l’adolescente, ceux d’une personne plus âgée, l’auteure : cette confusion empêche de se sentir totalement à l’aise avec les personnages.

Ce que révèle davantage ce roman, c’est que derrière les apparences de la banalité se cachent des secrets et des tourments. Un peu de compréhension et de soutien peut améliorer la vie des gens autour de soi. Il n’est pas nécessaire de tomber dans le coma pour comprendre cela… même si cela rehausse l’intérêt du récit.

Ma fille de dix ans a trouvé ce roman assez intéressant pour le relire et le présenter à toute sa classe lors d’un exposé oral. Que dire de plus ? [ALe]

• Source : L'ASFFQ 1999, Alire, p. 88-89.

• Côté, Jean-Denis, Québec français 114, p. 107.
• Desroches, Gisèle, Le Devoir, 08/09-05-1999, p. D 8.
• Fontaine, Catherine, Lurelu, vol. 22,  n˚ 2, p. 38.