À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Lianne, la narratrice, est animatrice dans une maison de jeunes, une maison ancienne dont le propriétaire démuni, Alex, a fait cadeau à la ville en y travaillant comme bénévole. Elle ne paie pas de mine, mais les jeunes qui ont aidé à la retaper y tiennent, même si le frère de l’un d’eux y est mort, d’une surdose – ou d’un suicide – pense-t-on, alors qu’elle était encore à l’abandon. Pourtant, depuis quelques jours, on y commet des actes de vandalisme, des barbouillages rouges.
Lianne décide d’aller faire un tour, de nuit, pour essayer d’attraper les vandales. Quatre des jeunes ont eu la même idée qu’elle. Soudain l’espace se transforme autour d’eux, bruits d’explosions, ciel zébré d’éclairs, la terre tremble. Les spectacles de guerre se multiplient. Lianne est poursuivie par le soldat violeur, mais une vieille femme surgit pour la sauver in extremis. Les bombardements se poursuivent, tout s’écroule, il faut dégager un des jeunes pris sous les décombres… et soudain, la maison redevient elle-même. Le lendemain Lianne, cherchant Alex, rend visite à la grand-mère de celui-ci au centre d’accueil, pensant le trouver là. La vieille femme, Dolorès Narjic, est celle qui s’est portée à son secours dans l’horreur de la guerre revécue par la maison.
Commentaires
« Je ne crois pas aux fantômes », déclare d’entrée de jeu la narratrice tandis qu’elle discute du vandalisme dans la maison, au début du texte. Tout se tient, de fait, entre cette première phrase et la découverte finale du nom de la grand-mère – moins son prénom, de fait (« douleur » en espagnol), que son nom de famille à consonance yougoslave. Ce texte ne va pas tant chercher l’horreur et la terreur dans le surnaturel de premier plan que dans son sous-texte : les véritables fantômes sont dans l’esprit et la mémoire des vivants.
Il ne s’agit pas ici, comme trop souvent dans les textes fantastiques modernes, de jouer à se faire peur, pour refermer le livre ou tourner la page, conforté par une claire séparation entre fantasmes et réalité. La maison, dit Alex, est « un réceptacle pour toute la souffrance du monde, le feu, le sang, la guerre ». Les terribles visions qui se déclenchent de nuit dans la maison douleur ne viennent pas d’un autre monde, mais du nôtre : on est, à l’époque de la rédaction de cette nouvelle, en plein milieu de la guerre, ou plutôt des guerres qui ont accompagné la fragmentation de l’ancienne Yougoslavie, avec ses ethno-génocides plus ou moins déclarés, ses violences qu’on croyait ne plus jamais revoir – du moins en Europe… – et les valses-hésitations de la communauté internationale.
Que ce soit dans sa science-fiction ou comme ici dans son fantastique, Francine Pelletier n’a jamais été une auteure à effets grand guignol – les émotions de ses personnages sont souvent discrètes, en demi-teintes, comme retenues. Mais les images insupportables qu’offre le texte, décrites sans complaisance, presque objectivement, sans appel du pied voyant aux cordes sensibles du lecteur, font écho ici à la profonde révolte de toute une génération de jeunes adultes élevés dans la certitude du « plus jamais ça », et qui ont vu revenir, une fois de plus, des fantômes qu’on croyait éteints. [ÉV]
- Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 162-163.