À propos de cette édition

Éditeur
Logiques
Titre et numéro de la collection
Autres mers, autres mondes - 8
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
189
Lieu
Montréal
Année de parution
1990
ISBN
2893810292
Support
Papier

Commentaires

Annick Perrot-Bishop publie au Québec ses premiers récits de fantastique et de fantasy en 1983-1984 dans les revues Solaris et Imagine… Déjà l’auteure montre un intérêt, sur le plan thématique, pour le passage du temps, la mémoire universelle, le rêve (visions oniriques du monde) et le mythe. Intérêt qui se développera au fil des années jusqu’à l’apparition du peuple des Ourlandines dont l’existence sera menacée par la venue des Mùriens (voir « L’Ourlandine » dans imagine… 36). Les Maisons de cristal, premier livre d’Annick Perrot-Bishop, reprend et développe ces mêmes grands thèmes, et cerne de beaucoup plus près l’univers mythique des Grandes Ourlandines.

Le recueil regroupe une dizaine de récits relatant les conflits de personnages déchirés, brisés, déracinés, en quête de leur identité individuelle et/ou collective. Il s’agit en quelque sorte de récits “spiralés” qui tournoient jusqu’aux confins des origines, s’attachent à des personnages étrangers à eux-mêmes, que la marginalité contraint à la solitude ou à l’isolement. C’est donc d’une incapacité de coïncider avec eux-mêmes dont souffrent les personnages de ces histoires, d’une impossibilité de s’intégrer à une communauté ou à une culture donnée. Le retour aux sources n’a dès lors d’autre but que la prise/reprise de possession de soi et du monde. Ce dualisme marqué des personnages d’Annick Perrot-Bishop ne caractérise-t-il pas, par ailleurs, la mentalité du Québécois et du Canadien francophone, pris en sandwich entre une culture d’appartenance et une culture dominante ?

Les récits des Maisons de cristal suivent une chronologie qui s’étend sur des millénaires. Les mêmes personnages resurgissent d’un récit à l’autre, au fil de réincarnations, sous des apparences diverses et en des époques et lieux différents. Les cinq récits de la première partie nous conduisent ainsi progressivement au monde des Ourlandines qui fait l’objet de la deuxième partie du recueil. L’ensemble est tissé serré, mais des erreurs donnent lieu à quelques confusions désagréables concernant l’identité des voix narratrices (les sœurs Yba, Agdis et Anissa).

On notera l’absence de technologie dans les sociétés de Perrot-Bishop. Les gens vivent de la pêche, de la chasse, de l’agriculture et de la cueillette, et leur survie n’est jamais en cause ; les guérisseurs se servent de plantes médicinales et s’exercent à des rituels qui procèdent symboliquement au recommencement du monde ou conjurent les puissances néfastes. Le savoir est ici mémoire. Les personnages cherchent à remonter, par la méditation et le rêve, le cours du temps, jusqu’à la naissance du monde ; ils cherchent aussi à développer la prescience qui leur assurera une vision globale du monde et leur permettra une plus grande présence à eux-mêmes.

L’univers mythique/poétique d’Annick Perrot-Bishop fascine par la force et la beauté des images. Dès les premières pages, le vent met en mouvement les rideaux de pierreries des maisons de cristal, éveille des musiques, défiant le silence pesant d’Amalia. Le vent est un rire, une voix, une lumière. Il «...tintait par instants, bondissait le long des parois mauves avant de s’égrener en notes effilées à travers les rideaux de pierreries. Puis la voix s’amplifia en un souffle plus grave, s’engouffra dans les différentes salles, faisant craquer le vitrail des tentures. Tout se mit alors à bouger, à cliqueter, à chanter dans des registres allant du vert aigu au rouge sombre ».  Dans le même récit, la chaleur du soleil colore de dégradés pourpres les surfaces printanières encore enneigées…

Comme dans toute œuvre mythique, les grands mystères de l’existence (chaos originel, naissance/renaissance, mort) trouvent expression et explication à travers les quatre éléments fondamentaux : la terre, l’eau, l’air et le feu. L’eau, symbole de régénérescence, est omniprésente : les plantes du jardin aquatique d’Ys ont d’étonnantes propriétés médicinales ; les reflets à travers les eaux troubles d’étangs révèlent les êtres à eux-mêmes, donnent accès à la mémoire universelle ; la mer participe au rituel de la réincarnation ; Agdis renoue avec ses origines par un voyage qu’elle effectue, repliée au fond d’un coquillage… On pourrait aussi évoquer le caractère sacré du feu sous le régime de la Ràye, les célébrations et les rites (danses, chants, orgies) qui lient le visible à l’invisible… Mais l’univers mythique et thématique d’Annick Perrot-Bishop conserve une grande part d’originalité. L’auteure a manifestement mélangé et intégré des schèmes mythiques provenant de plusieurs sources (orientales, amérindiennes), tout en restant de près rattachée, consciemment ou non, aux courants idéologiques et préoccupations modernes (racisme, choc de culture, rejet du rationnel et de la science en faveur du spirituel et de rapports privilégiés avec la nature…).

Et l’écriture ? Fragile, voilée, colorée. On pourrait dire profondément intérieure. Car l’action et la parole sont avant tout intérieures dans ce livre. Peu d’intrigue, et pas de rebondissements d’éclat. Tout passe par le regard, tout se joue dans le regard : les personnages s’observent, s’appellent, se désirent et se repoussent du regard. Et l’oeil projette au-delà de la conscience, permet de communiquer avec l’au-delà. Le personnage principal du livre – qui chevauche les récits comme le cours du temps – ne se distingue-t-il pas par son oeil unique ?

À la lecture des Maisons de cristal, le lecteur découvrira un monde merveilleux, original, et des personnages étranges que des puissances spirituelles guident à travers les réseaux embrouillés de la mémoire. Un voyage unique et inusité. [RP]

  • Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 148-151.

Références

  • Bélil, Michel, imagine… 56, p. 138-141.
  • Meynard, Yves, Samizdat 19, p. 19-20.
  • Trudel, Jean-Louis, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 523-524.
  • Vonarburg, Élisabeth, Solaris 95, p. 26.