À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Voyons. Ivan, Tiago et Lucien font une partie qui se joue dans un faux huis clos. Un parcours à trois hommes : un étudiant en théologie qui défroque, un rescapé d’horribles tortures en Amérique du Sud, un étrange personnage qui se fait passer pour Dieu et parle beaucoup de son jeu. Beaucoup ! Cet invité tenace veut à tout prix avoir raison et ne cesse d’invoquer ses pouvoirs ; il ne sait pas dialoguer et ne comprend rien aux faiblesses humaines, mais se rend sympathique à un jeune homme frileux et confus.
Ivan Serov (et non Karamazov, quoiqu’il puisse être un descendant spirituel de l’intellectuel confus de Dostoïevsky) hésite beaucoup, ne sachant la part du mal et du bien au milieu de ce discours d’omnipotence entre un samovar, un canif et des cornichons. À table, de l’autre côté de la conversation, un Dieu qu’on préférerait haïr. Et si Dieu était fait pour qu’on s’élève comme humains, en se riant un peu de lui ? Si c’était ça ? De tout temps ?
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Commentaires
Le Maître de jeu de Sergio Kokis est un livre majestueusement bâti, un peu sournois dans sa façon de ménager lentement son intrigue. Il fait oublier combien il est tissé d’un seul dialogue, à peine interrompu par la vraie vie au-dehors d’un appartement vu de nuit. Il s’agit presque davantage d’une allégorie du pouvoir et des questions métaphysiques modernes (des pays riches et stables qui mangent à leur faim) que d’un roman, en fait de fond, mais la trame est si bien faite, et l’action si profonde dans les êtres qu’on peut parler de roman, qu’il est loisible de parcourir avec peur et ravissement, si on aime les lectures suaves ou érudites et les actions subtiles et patientes.
Les idées y sont souvent sur le point de s’incarner, et quel plaisir de voir Yahvé ou Luther traités de façon si mutine ! Aussi, deux points de vue élargissent constamment le territoire du doute : celui d’Ivan, saisi et craintif devant cette force métaphysique, et celui d’une narration plus impersonnelle, depuis l’extérieur, un peu indifférente, désincarnée, voyant l’action sans trop l’assumer. Quelque chose observe cette étrange histoire, dans une danse entre deux mises au foyer : quelque rédemption attend, imprécise et cachée, dans les coulisses. Ce pourrait être nous. D’où la tension du récit. Tout y est brillant d’intelligence et de sensibilité subtile. Tout se déroule en huis clos faussement confortable tandis qu’on oublie dehors le pauvre Tiago et sa croix. La dualité, à tous points de vue, persiste, constamment lissée par un style classique, châtié, qu’on dirait plus spontané et naturel à la fin, alors que les notions théoriques si chères à Ivan deviennent des heures de larmes et de sang.
Malgré certaines tenaces longueurs, c’est un livre dynamique, où le lecteur doit trouver sa propre voie. Un livre qui interroge, avec maîtrise. Qui frappe en rassurant. Un dur récit où une victime devient la lumière, le héros, et où Dieu ressemble au diable à en frémir. [ALa]
- Source : L'ASFFQ 1999, Alire, p. 90-91.
Références
- Chartrand, Robert, Le Devoir, 20/21-11-1999, p. D 3.
- Greif, Hans-Jürgen, Québec français 117, p. 18-19.
- Jolicœur, Louis, Nuit blanche 78, p. 18.
- Le Grand, Éva, Spirale 170, p. 27.
- Péan, Stanley, La Presse, 07-11-1999, p. B2.