À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Nivôse 2062. Après avoir parcouru le monde à la recherche d’une femme qui l’avait ébloui, Cyrias-Anthime-Romuald Nipt s’est isolé en banlieue de Paris devant son ordinaphone dans l’espoir qu’elle lui apparaisse et lui adresse quelques mots. Mais qui est cette femme pour laquelle il entretient un véritable culte ?
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Commentaires
Je gagerais n’importe quoi que Claire Dé a écrit cette nouvelle dans le cadre du concours de l’Office franco-québécois de la jeunesse dont le thème était L’avenir de la francophonie. On se rappellera que c’est Gilles Pellerin qui a remporté le premier prix avec une nouvelle, « Le Songe », qui curieusement n’est pas un texte d’anticipation – la forme prescrite par les règlements du concours – ni même peut-être une œuvre de fiction. Mais cela est une autre histoire.
« Maîtresse », en effet, se situe au XXIe siècle, après qu’une catastrophe ou une guerre nucléaire eût dévasté la planète à la fin du XXe siècle. L’hiver nucléaire qui a suivi a décimé la population. Une nouvelle société dirigée par les femmes s’est peu à peu organisée. Cette toile de fond demeure toutefois trop peu développée, l’intérêt de l’auteure se situant ailleurs comme on le verra.
Ce n’est qu’à la toute fin qu’on apprend que le narrateur Nipt recherche non pas une femme mais la langue française, sa langue maternelle puisqu’il est Québécois d’origine. Cette révélation surprend d’autant plus que Nipt la décrit vraiment sous les traits d’une femme. Mais si les poètes québécois ont abondamment représenté le pays québécois sous les traits d’une femme aimée au plus fort du courant nationaliste dans les années 60, pourquoi pas une association femme/langue française ?
Ce rapprochement permet en outre à Claire Dé de renverser le rapport de force récurrent qui traverse chacune des nouvelles du recueil Le Désir comme catastrophe naturelle. Chaque fois, une femme se consume de passion pour un amant absent ou un mari indifférent tandis que dans « Maîtresse », c’est l’homme qui, pour la première fois, se languit d’amour pour une femme altière, inaccessible et quasi mythique.
La nouvelle de Claire Dé présente le rapport à la langue comme une relation amoureuse qui fonde le sens même de l’existence. Ce vibrant hommage à la langue française se fait sur le mode lyrique et salue au passage Gilles Vigneault et Charles Trenet, deux poètes qui ont su faire chanter les mots. Ne manque plus que l’évocation de la très belle chanson d’Yves Duteuil.
Avec « Maîtresse », Claire Dé retrouve aussi la souplesse et la fluidité de la langue française qu’elle s’acharnait à dénaturer par une écriture remplie de hoquets et de heurts dans les autres nouvelles du recueil. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 70-71.