À propos de cette édition

Éditeur
Point de fuite
Genre
Science-fiction
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
303
Lieu
Montréal
Année de parution
2000
ISBN
9782890530046
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Un employé un peu simple se fait prêter cinq cahiers qui contiennent des révélations inouïes au sujet de la naissance et de la chute d’une religion féministe qui a marqué le monde où il vit. En effet, il serait un descendant de l’homme à l’origine de toute l’histoire, des siècles plus tôt. Rebuté par la complexité de la tâche, le signataire du prologue s’adresse donc au lecteur en l’implorant de l’aider à comprendre : « C’est pour ça que je vous ai demandé de venir. S’il vous plaît, est-ce que vous pourriez lire ces cahiers qu’on m’a donnés et m’expliquer ce qu’ils signifient ? »

Le lecteur est donc prévenu d’emblée qu’il devra reconstituer un casse-tête sans s’attendre à une intrigue linéaire d’accès facile.

Dans le premier cahier, nous sommes plongés dans l’univers soigneusement calfeutré d’une théocratie féministe qui semble avoir éliminé les hommes. Une mère de fonction est affolée par la promotion précoce de sa fille, qui va signifier pour cette mère un recyclage prématuré dont elle ignore la finalité. Dans ce monde voué à l’adoration de Dieue, le doute n’a pas sa place. Les mères sont conditionnées par leur recyclage précédent afin d’être les esclaves au quotidien des filles qui leur sont confiées. Et les filles sont formées à se consacrer au succès de leurs études, sans jamais se soucier des mères sans nom qui les servent. Mais les souvenirs commencent à percer la gangue du conditionnement de la mère et le soupçon s’insinue. Aurait-elle été la brillante Marjorie Stonehenge avant le recyclage qui a effacé sa mémoire ? Ce monde ne serait-il qu’une mise en scène ? Incapable de trancher, la mère laissera ses notes à sa fille Jenifer au moment de partir pour son dernier recyclage.

Le second cahier, rédigé par Jenifer, rend compte de son passage par l’école supérieure. La jeune fille surmonte rapidement sa confusion initiale et entame de brillantes études, mais les événements qui devaient couronner son parcours bouleverseront ses croyances. La religion de son enfance vole en éclats et le monde lui-même semble se déliter…

Le troisième cahier livre le témoignage crucial d’un surveillant attaché à la garde du cercueil de stase où reposait Marjorie Stonehenge jusqu’à la catastrophe qui a frappé à l’improviste. La mort de Stonehenge et l’apparition d’une double de celle-ci ont sûrement interrompu l’existence de la réalité virtuelle rêvée depuis des années par Marjorie…

Dans le quatrième cahier, les révélations se succèdent. Marjorie Stonehenge n’est que le pseudonyme de Soria Altarstone. Celle-ci, belle mais distante, a séduit sans le savoir le directeur du Centre, qu’elle est venue consulter et qui ne peut supporter d’éprouver une attirance aussi incontrôlée pour une femme. En effet, cet homme est resté marqué par l’emprise étouffante de sa mère. La menace de tomber de nouveau sous l’influence d’une femme pousse le directeur à commettre un étrange crime. Au lieu d’une cure de stase et d’une plongée de quelques jours dans un rêve manufacturé sur mesure, Soria sera condamnée à ne jamais se réveiller, prisonnière d’un rêve conçu par le directeur comme un enfer particulièrement féministe. Car Soria a révélé au directeur les détails d’un incident déterminant de sa jeunesse, qui vont permettre à cet homme d’échafauder des pièges emboîtés.

En guise d’épilogue, le cinquième cahier complète le casse-tête. Il décrit le sort de Soria, née de la réalité rêvée par son alter ego endormie pour apparaître sous les traits d’une double vénérée comme une déesse durant près d’un siècle. On comprend alors qu’il s’agit de la religion dont la chute fracassante a façonné le monde où a grandi l’employé du prologue.

Commentaires

C’est avant tout la construction méticuleuse du roman qui force l’admiration. Les réalités successives s’éclairent mutuellement. En fin de compte, l’anticipation est secondaire. La résolution de l’énigme prime sur la justification possible de la réalité virtuelle ou l’exploration des exigences de sa construction, comme dans Permutation City de Greg Egan, par exemple. Ainsi, même si les personnages se posent plusieurs fois la question de la réalité de ce qu’ils vivent et se demandent s’ils ne sont pas rêvés ou désirés par autrui, Posadas esquive toute réflexion sérieuse sur les conséquences éthiques de l’existence de simulacres conscients. C’est toute la problématique de l’holodeck de Star Trek : si les personnages d’une simulation sont conscients ou capables de réussir le test de Turing, ne doit-on pas leur reconnaître certains droits ? Or, Star Trek a bel et bien tenté de répondre à cette question, mais Posadas se contente de formuler des interrogations métaphysiques de potache, sans les approfondir. Alors que la vie et la mort de centaines de consciences artificielles à l’intérieur du rêve de Marjorie Stonehenge constitueraient en soi une tragédie terrible, l’auteure préfère s’intéresser aux petits drames familiaux et interpersonnels, presque mesquins, qui accaparent une poignée de personnages principaux.

S’il importe de comprendre les motifs de Gustav Schwarzschild, le directeur du Centre à l’origine de tout, et ceux de Soria Altarstone, cela se fait au détriment de la réalité des autres personnages, dans la mesure où mère et fille (dans le rêve de Stonehenge) apparaissent comme des personnalités exceptionnelles, dotées d’une intelligence et d’un esprit critique les plaçant à part.

En général, les personnages masculins sont plutôt convenus, employés subalternes ou patrons machiavéliques. Même Gustav Schwarzschild n’arrive pas tout à fait à se dégager du stéréotype car il souffre du souvenir d’une mère extrêmement collante et possessive, qui aurait entraîné son père dans la mort parce que celui-ci avait eu le tort de chercher à la supplanter dans l’affection du petit Gustav. Le garçon en aurait gardé une peur panique du coït. Bref, un cas d’école, si parfait qu’il laisse perplexe lorsqu’on apprend que Gustav, qui conserve des souvenirs extrêmement précis de toute l’affaire, avait sept ans lorsque sa mère est morte…

En revanche, Posadas signe des pages extraordinaires sur ses personnages féminins. Les deux premiers cahiers, les plus volumineux, constituent plus de la moitié du livre et ils sont largement consacrés aux rapports mère-fille, aux déchirements d’une mère que sa fille quitte et aux enthousiasmes juvéniles d’une adolescente fanatisée. Et le quatrième cahier incorpore une lettre essentielle de celle qui portera le nom de Marjorie Stonehenge, où celle-ci révèle qu’elle a été la victime d’une cérémonie initiatique terrifiante, manigancée par sa sœur jalouse… Jenifer. Même si le style de Posadas se tient le plus souvent dans un registre assez soutenu, malgré quelques tentatives éphémères pour rendre la voix plus populacière de subordonnés, la description de cette expérience est singulièrement prenante. Le dispositif imaginé par Jenifer n’est peut-être pas entièrement vraisemblable, mais il évoque des peurs viscérales qui permettent de croire sans peine à la transformation mystique de l’adolescente jetée sans préparation aucune en plein cauchemar.

Si les personnages sont typés au point de friser l’abstraction, la prose de Posadas s’englue parfois dans la sentimentalité et demeure trop souvent imprécise. Lieux, objets et personnes ne sont presque jamais décrits, voire définis dans le cas de certaines technologies pourtant vitales dans le cadre de l’histoire. C’est à peine si l’on sait à quoi ressemblent les personnages principaux. Et ce dédain des apparences physiques ou des détails concrets n’est pas le fait d’un seul narrateur puisqu’on le retrouve dans chaque partie du livre.

Ce même flou se traduit aussi par les questions qui restent sans réponse : comment deux cahiers rédigés dans un rêve ont-ils pu aboutir dans notre monde ? une intervention fantastique est-elle nécessaire pour expliquer l’incarnation tangible de la double de Marjorie ? ou faut-il imaginer une nouvelle supercherie montée par les administrateurs du Centre ? Posadas sème quelques indices, mais sans insister.

Ce jeu de miroirs auquel se livre Patricia Posadas rappelle un peu celui pratiqué par Jacques Brossard dans L’Oiseau de feu. Des réalités se juxtaposent, se contredisent, puis s’effacent pour être finalement réconciliées. L’auteure a si bien brouillé les pistes jusqu’à la fin du quatrième cahier qu’il est saisissant comment elle parvient à tout éclaircir en une quinzaine de pages… à condition que le lecteur n’ait pas oublié certains détails du prologue.

Cependant, avec un quart de siècle d’acquis littéraires de plus que Brossard, Posadas nous épargne une simple resucée du mythe d’Adam et Ève. À la lecture des premiers cahiers, on aurait d’ailleurs pu redouter une nouvelle variante féministe de La Servante écarlate d’Atwood ou de Chroniques du Pays des Mères de Vonarburg. Même si le roman fait allusion au roman d’Atwood et fait tout reposer sur la malice d’un homme frustré par sa mère, il s’intéresse surtout aux souffrances d’hommes et de femmes en peine. Le passé de Soria illumine une partie du livre, mais le passé de Gustav en éclaire une autre. En même temps, Posadas explore différentes divinisations de la femme. Comme principe désincarné et autonome. Comme mère éternellement féconde. Comme gardienne de la vie et de la mort.

Par contre, le roman n’est pas axé sur un enchâssement de réalités destiné à susciter un vertige factice, dans la veine de Dick ou Lem. Le questionnement des frontières entre réalité et virtualité n’est pas tant ontologique que psychologique. Ce que Posadas offre, c’est une boucle qui se referme et se verrouille comme un mécanisme bien huilé.

Somme toute, dans le contexte de la production de science-fiction canadienne-française en 2000, Marjorie Stonehenge représente une œuvre de premier plan. Le roman a d’ailleurs obtenu le prix Jovette-Bernier du Salon du livre de Rimouski. [JLT]

  • Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 139-142.

Prix et mentions

Prix Jovette-Bernier 2000