À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
La fille du jongleur aime Matchounon à qui elle est destinée. Mais le jongleur exige du jeune guerrier qu’il s’empare du « Manitou » des Visages pâles avant d’obtenir sa fille Onaïda. Matchounon part en expédition. En route, il rencontre le père Brébeuf et l’aide à transporter un Indien malade. Puis il lui vole son crucifix avant de repartir. Le jongleur, satisfait de l’exploit du guerrier, décide de faire « mourir » dans les supplices l’Esprit que vénèrent les Blancs. Il retire le Christ de la croix pour le clouer à un arbre. Onaïda s’y oppose. En vain. Les coups de marteau se répercutent au loin. Le Christ verse des pleurs, puis le sang coule de ses plaies. Onaïda est bouleversée. Elle ne pourra plus aimer Matchounon, complice de ce supplice. Le sorcier termine son œuvre maléfique, mais jamais les échos plaintifs du marteau ne se tairont, ce qui obligera la tribu à quitter définitivement les lieux.
Commentaires
« Ô vous tous, infatigables coureurs des bois, pêcheurs et chasseurs, touristes ou “hommes de chantiers”, qui cent fois avez franchi, sur vos raquettes de peau d’orignal, ou dans vos canots d’écorce de bouleau, les rivières tortueuses ou les lacs profonds qui baignent les pieds des rochers et des montagnes »… Pamphile LeMay interpelle son lecteur dès le début et le tient ainsi pendant près de deux pages. Il l’enveloppe, le charme, le guide au milieu d’une nature sauvage pour laquelle il ne tarit pas d’éloges. Ce portrait du paysage mauricien est un véritable morceau d’anthologie. Les phrases amples et le lyrisme évoquent les grands romantiques de l’époque. Rien n’échappe au regard sensible de LeMay : montagnes et pics rocheux, lacs et méandres, lumière blonde et luxuriante, musique des feuilles et grondement des rapides… La vie bat admirablement sa démesure.
Une plainte mystérieuse qui se fait entendre sur les rives du lac Croche sert d’élément déclencheur au récit fantastique. D’où provient l’étrange « son de métal » ? Pamphile LeMay raconte. Il imagine la vie au sein d’une tribu de nomades, aux premiers jours de la colonisation. Hormis le Christ en croix, les personnages de l’histoire sont tous amérindiens. Le point de vue adopté promettait donc quelque originalité. Malheureusement, les personnages sont sans nuance. L’auteur, en fervent défenseur de l’idéologie dominante de l’époque, prête au sorcier des intentions hautement maléfiques, alors qu’Onaïda, « douce vierge des forêts », semble la seule capable de compassion.
Comme première intervention du surnaturel, Pamphile LeMay a recours à l’image rebattue d’un Christ de bois versant des pleurs et perdant son sang. Mais ce n’est là, heureusement, qu’un détail qui prépare au véritable leitmotiv fantastique : l’écho plaintif du marteau qui se fait encore entendre au milieu d’une « solitude pleine d’épouvante ». Le bruit est partout et nulle part. Il s’est imposé comme le maître des lieux : Dieu règne sur le monde. Et la souffrance a pris demeure pour rappeler aux voyageurs le respect qu’ils doivent à l’Église.
« Le Marteau du jongleur » est un texte fantastique de grande qualité. Bien sûr, l’auteur y défend une thèse qui serait aujourd’hui irrecevable. Mais la richesse de l’image et de l’écriture, de même que l’intelligence de la narration font de LeMay est un des meilleurs conteurs de son temps. [RP]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 124-125.