Résumé/Sommaire
Marc Dugal est un riche héritier montréalais, un homme d’affaires prospère et un coureur de jupons. Patricia Nadon est une adjointe de direction et une mère de famille. Réunis par un party de bureau avant Noël, ils se retrouvent sur une autre planète quand ils sont enlevés par des visiteurs extraterrestres. Marc reconduisait Patricia chez elle en espérant faire plus ample connaissance, mais ils se réveillent dans une cellule inconnue après une sortie de route.
Ils découvrent qu’ils sont prisonniers sur Mentia, qui est une anti-Terre habitée par une population humanoïde qui se distingue de l’humanité par son absence presque totale de sentiments et d’émotions. Les Mentiens veulent faire de ce couple choisi au hasard les représentants de l’humanité dont ils tireront tout ce qu’il faut savoir sur les Terriens.
Si Marc est un matérialiste impulsif au sens pratique surdéveloppé, Patricia est une croyante plus réfléchie. D’emblée, elle soupçonne Marc de n’avoir que de mauvaises intentions en tête, mais un lien de confiance s’établit peu à peu au fil des jours de captivité. Ce début d’amour se heurte à la ferveur religieuse de Patricia, qui refuse d’être infidèle à son mari resté sur Terre même si elle craint depuis longtemps d’être trompée par lui.
Cette fidélité enrage Marc qui ne rêve que de retourner sur Terre et de trouver un peu de réconfort entre les bras de Patricia, mais pas nécessairement dans cet ordre. Les leçons, interrogatoires et examens se succèdent. Marc essaie d’en apprendre plus long sur les Mentiens et leurs astronefs, mais ses tentatives d’organiser une évasion tournent court et lui valent plusieurs avanies. Il n’en est consolé que par l’affection grandissante qui l’unit à Patricia.
En fin de compte, une double grève de la faim tentée par Marc et Patricia lorsqu’ils ont été isolés par leurs ravisseurs favorise le soupçon par les Mentiens que leurs prisonniers leur cachent un pouvoir secret, soit celui de la télépathie. La révélation par Patricia de sa foi religieuse et des prières qu’elle adresse à Dieu convainc le dirigeant des Mentiens que ces mystères justifient une étude plus approfondie des Terriens. Patricia et Marc obtiennent la permission de revenir sur Terre à condition d’accueillir ensuite des investigateurs mentiens.
Ce retour s’accomplit dans les meilleures conditions malgré l’absence de plusieurs mois des deux Québécois. Grâce à la fortune personnelle de Marc, celui-ci peut accueillir Patricia, qui a trouvé porte close chez son ancien mari, et lui offrir un petit palais dans la région de Montréal où ils pourront filer le bonheur parfait et connaître enfin les plaisirs de la chair qui leur avaient été interdits durant leur séjour sur Mentia.
Commentaires
Aborder ce roman d’une banalité insoutenable entraîne un martyre interminable pour le lecteur le moindrement exigeant. Gingras a signé un ouvrage qui aligne les événements sans intérêt avec une rare obstination. Les deux protagonistes subissent un emprisonnement doublé d’une frustration sexuelle de plus en plus prononcée, mais Marc et Patricia se contentent le plus souvent de se plier à ce qu’on leur impose. Comme la seule évasion possible exigerait l’emploi d’un astronef, ils sont relativement libres de leurs mouvements, mais ils en profitent à peine pour explorer puisque Gingras a fait de Mentia une planète singulièrement inintéressante dont les particularités se limitent à quelques traits grossis avec complaisance et réitérés sans jamais renouveler leur présentation.
Le plus lassant, c’est à la fois l’insignifiance des dialogues qui tendent à ressasser les mêmes arguments et les mêmes objections de part et d’autre. Marc voudrait coucher avec Patricia et il voudrait convaincre à coups de poing les Mentiens de les libérer. Si ces réactions sont compréhensibles, l’entêtement de Marc témoigne d’un manque d’imagination et de curiosité qui émousse à la longue l’empathie du lecteur. La seule évolution réelle se situe sur le plan des sentiments des deux captifs, qui s’éprennent petit à petit l’un de l’autre.
Le manque d’originalité de l’intrigue comme du décor est sans doute la principale source de ce fleuve d’ennui que le lecteur descend en espérant vainement croiser une quelconque escale digne d’intérêt. D’une part, la thématique des rapts extraterrestres remonte au moins aux années cinquante, dans la fiction (voir Aux étoiles du destin de Michel Jeury, par exemple) comme dans la mythologie populaire inspirée par les OVNIs (voir les affabulations de George Adamski ou l’enlèvement de Betty et Barney Hill en 1961).
L’anti-Terre postulée par Gingras est une explication raisonnable d’un double mystère : comment il est possible pour des extraterrestres de provenir d’un autre monde situé à proximité de la Terre et comment il leur est possible de le faire dans un temps manifestement très court. Du côté de la science-fiction écrite, John Norman avait fait du monde de Gor une telle anti-Terre dès 1966. Au grand écran, le film Doppelgänger (1969) fait de l’anti-Terre un miroir de la Terre. En bande dessinée, les comics étatsuniens exploitent l’idée depuis les années soixante-dix. De plus, l’idée circule chez les ufologues depuis au moins la sortie du rapport Condon en 1968. Quoique inusitée en science-fiction québécoise, l’idée est donc loin d’être originale.
Enfin, les Mentiens eux-mêmes sont décrits comme des automates, des robots, des êtres sans émotion qui n’ont donc ni âme ni religion. Ce cliché nous ramène à tout un courant de la science-fiction incarné par le personnage de Spock à la télévision des années soixante – et le traitement de Spock était nettement plus nuancé que la description des Mentiens. S’ils n’obéissent qu’à la logique, ils ne sont guère raisonnables. La taille de l’échantillon constitué par les Mentiens pour étudier les Terriens est ridicule en soi. Deux individus ne devraient pas suffire à formuler des conclusions autres qu’élémentaires sur l’espèce humaine.
Gingras a peut-être souhaité signer l’antithèse des romans de John Norman axés sur la domination masculine et la soumission féminine, car Marc apprend à respecter Patricia comme son égale. Toutefois, c’est bien la seule qualité que je peux trouver à cet ouvrage. [JLT]
- Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 101-102.