À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un photographe qui a souvent travaillé avec l’archéologue Constantin Winkelman part à sa recherche à la suite de sa disparition dans le nome d’Arcadie, en Grèce. Ne trouvant aucune trace de son ami au lieu dit, il décide de photographier le site et les ruines archéologiques. Quand il développe les trois photos prises la dernière journée, il se rend compte qu’elles sont différentes de ce qu’il a vu dans son objectif. L’une d’elles laisse voir distinctement l’ombre de l’archéologue disparu.
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« La Mémoire des lieux » est un texte dense dont le propos philosophique questionne notre rapport à la réalité. Il n’est donc pas étonnant que la finale bascule dans le fantastique. Tout étant une question de regard dans ce texte – le narrateur est d’ailleurs photographe –, la proposition de Pierre Ouellet repose sur l’importance de renverser la perspective pour faire surgir le sens, ce que fait son archéologue anticonformiste et marginal en fouillant le ciel plutôt que la terre – ne cherche-t-il pas des traces des dieux, après tout ? – pour saisir le passé et l’origine des choses.
Par sa quête et sa portée philosophique, la nouvelle de Ouellet rappelle « Le Pèlerin de Bithynie » de Claude Mathieu. Même fascination des origines, même recherche de spiritualité, à la différence toutefois que la prose de Mathieu est plus accessible que l’écriture contournée de Ouellet. Celui-ci est surtout poète, cela se voit dans son style très travaillé qui multiplie les images fulgurantes : « Ce que l’homme élève désertifie le ciel. » Ailleurs, il compare les banlieues industrielles à des « camps de concentration de l’Absence ».
Par l’expression de la pensée de Winkelman, on se rapproche de l’idée de Shakespeare qui compare la vie à une scène de théâtre et que Ouellet traduit ainsi : « Il était convaincu que le monde actuel n’était qu’un mauvais souvenir ayant appartenu à la mémoire d’un être totalement dépourvu d’avenir. » On n’est pas très loin ici de l’esprit d’une certaine science-fiction et des simulacres de Philip K. Dick.
La longue méditation de Ouellet sur le temps demande un investissement sans réserve de la part du lecteur. Dans ce recueil de six textes, l’auteur traite les mêmes thèmes (la mémoire, l’oubli, le temps) qui alimentent une réflexion « neurasthénique » sur la vie qui pourrait se résumer à ceci : dès la naissance, la mort est inscrite dans notre ADN. Ouellet distille une conception de la vie qui, paradoxalement, nous incite à apprécier les moments de grâce, les bonheurs dérobés au quotidien.
Tout comme dans le recueil L’Attrait où la présente nouvelle sera reprise sous le titre de « L’Avent », le regard occupe ici une place centrale car il induit la méditation et la rêverie. Mais à réfléchir ainsi, les divers narrateurs du recueil – qui sont pratiquement interchangeables, ce ne sont jamais des jeunes – semblent oublier de vivre. « L’Avent », seul texte fantastique du recueil, est l’un des mieux réussis et des plus intéressants, tandis que « L’Aval », dans lequel un vieillard désabusé entretient une relation presque muette avec une jeune mère dans un parc, est le plus émouvant et le plus lisible. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 241-242.