À propos de cette édition

Éditeur
Leméac
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
180
Lieu
Montréal
Année de parution
1996
ISBN
2760931935

Résumé/Sommaire

Depuis qu’il a maté Lucifer et l’a relégué aux enfers pour cause de péché d’orgueil, le Très-Haut a imposé un régime d’austérité aux neuf hiérarchies angéliques. Or voilà que les anges jadis si dociles, regroupés en syndicat, se révoltent pour cause… d’ennui ! Du jamais vu dans la « non-existence » céleste, qui en est ainsi à un tournant de son éternité. Conformément aux revendications du syndicat angélique, le Très-Haut se résout à dépêcher l’archange Gabriel en mission sur la Terre afin de trouver un musicien susceptible de mettre un terme au spleen qui afflige l’Empyrée.

L’archange et sa délégation partent à la rencontre des grands courants philosophiques, théologiques, politiques, moraux, sociaux, culturels ayant façonné le monde au gré d’une traversée du globe qui défie les barrières spatiotemporelles : après un banquet à Athènes avec Platon (qui d’autre ?), en route pour un déjeuner offert par… les cétacés de la baie de Fundy ! Et avant une représentation du Requiem de Johannes Ockeghem (au xve siècle), pourquoi pas une interprétation fameuse de La Tosca avec Maria Callas ? On croise aussi Pythagore, Voltaire, Louis Armstrong improvisant des spirituals dans Harlem, et bien d’autres, avant de découvrir le musicien idéal.

Commentaires

Livre ultime de Jacques Brillant, mort en 2004, Mémoires d’un ange, narré à la première personne par un archange Gabriel doté d’un humour aussi facétieux que corrosif, d’une culture forcément encyclopédique (éternité oblige !) et d’une compréhension fine de l’Homme, se révèle un récit savoureux qui tient un peu de la bravoure et de l’exploit. Car on aura compris que l’auteur s’est donné le défi de résumer très brièvement ce qui pourrait représenter l’essentiel de la civilisation humaine. Et le défi est relevé de façon assez plaisante, ma foi.

Optant pour la légèreté, Brillant a divisé le roman en plusieurs chapitres qui prennent parfois l’allure de saynètes, et qui servent généralement à évoquer un moment historique précis, une idéologie, un contexte sociopolitique (les Irlandais en quête d’autodétermination, la Prague post-communiste, etc.). Les dialogues abondent, au bénéfice d’anges ignorants des notions de désir, de plaisir, de convoitise, de création, de finitude, et ce faisant, peu aptes à appréhender les subtilités de la condition humaine. « Les hommes sont-ils différents de nous ? » demande ainsi l’un d’eux. Et Gabriel de répondre : « Ils ont la vie en plus, […] c’est pourquoi vous les trouverez étranges et pleins de caprices. »

Des dialogues abondants ne font pas forcément un récit verbeux. C’est d’autant plus vrai ici qu’une bonne dose de fantaisie, et même de drôlerie, accompagne les invraisemblables pérégrinations de la délégation céleste. Il n’est que de mentionner certaine virée nocturne dans le Paris des cabarets – une initiative d’anges désobéissants, réfractaires à l’opéra – qui donnera lieu à moult quiproquos d’ordre sexuel. Anges que, au fait, les chants grégoriens laissent unanimement indifférents…

La Terre étant le royaume de Lucifer, Gabriel s’impose la courtoisie de demander un droit de passage à son cousin déchu. Là encore, Brillant s’amuse ferme, qui fait de l’ancienne créature céleste un épicurien en plus de l’idéateur d’une « fabrique de péchés » et d’une agence de renseignements – la Lucifer Intelligence Service – dont les espions suivent de près le périple des délégués du Très-Haut. Détail piquant : Lucifer est à négocier une réhabilitation au ciel pour lui et ses démons, et en guise d’« acompte », Gabriel les obligera à exécuter la Messe en si mineur de Bach sur le site du rocher Percé. Qu’à cela ne tienne : en bon corrupteur qu’il est, Lucifer verse une contribution de trente mille dollars à la caisse électorale du parti de la mairesse locale !

Mémoires d’un ange se présente aussi comme une fable écologiste, et c’est là où le bât blesse quelque peu. On passe beaucoup de temps en compagnie des cétacés déjà cités et d’un expert de l’ONU à sillonner les mers (humain et anges se déplacent à bord d’un bathyscaphe) et à se faire marteler un discours sur les espèces marines menacées. Non que le message écologiste ne s’inscrive dans le projet de l’auteur, mais en comparaison, les civilisations asiatique et africaine, riches et diversifiées, sont à peine effleurées. Et s’il est un brin ironique de croiser, dans le Grand Canyon, un ermite « sans patrie » né au Québec, on peut s’interroger sur la pertinence de cette escale au Stampede de Calgary.

Mémoires d’un ange souffre en somme d’un certain déséquilibre, et peut-être d’un certain essoufflement aux trois quarts du parcours, que compensent toutefois l’érudition véritable et l’expression de la culture humaniste de Jacques Brillant. Quant au « musicien capable de ramener la joie parmi les anges », élu par une délégation unanime, jamais on n’en aurait deviné l’identité, car il s’agit d’un anonyme. Disons seulement qu’il vient d’Afrique. Quand même chanceux, notre homme, puisqu’il séjournera périodiquement au ciel !

Au tout début, Brillant avait réservé au grand Platon le soin de livrer aux anges, pour les besoins de leur éducation aux choses humaines « nobles », le sens que revêt la musique. « Sur la Terre, la musique est l’expression du plaisir charnel uni à la sensibilité de l’âme. L’un ne va pas sans l’autre », expliquait le philosophe qui, au fait, a réellement écrit sur le sujet. Là se trouve, condensé, le motif de ce roman aux accents plus fantaisistes que strictement fantastiques. [FB]

  • Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 51-52.